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le charme de l’histoire

temps-là, quelques souffrances qu’endurât le peuple, ce n’était pas le roi qu’il accusait de ses n1alheurs et qu’il chargeait de ses malédictions ; le dicton populaire était : « Ah ! Si le roi le savait ! »

La misère était grande pourtant. Le bûcheron, père du Petit Poucet, est si pauvre qu’à deux reprises il conduit ses enfants dans la forêt pour les y perdre, préférant, puisqu’ils sont destinés à mourir de faim, que du moins ils ne meurent pas sous ses yeux ! Et la mère consent deux fois à ce sacrifice ! Sans doute, à l’époque où ce conte douloureux a été imaginé, cet horrible dénuement ne paraissait pas invraisemblable et Perrault pouvait encore se rappeler que, pendant la Fronde, des mères avaient tué leurs enfants pour ne plus les voir souffrir !

Le pauvre ménage est sauvé pour quelques jours, parce qu’on lui rembourse dix écus, dus depuis longtemps et qu’il croyait perdus. Quel est le débiteur qui laissait ces malheureux dans une telle détresse ? Quelque pauvre diable, aussi misérable que le bûcheron ? Un voisin incendié, un marchand ruiné ? Non ! C’est le seigneur du village ! Ce trait, placé là comme tout naturel, n’est il pas saisissant ? Ne fait-il pas revivre dans notre esprit le souvenir de mille faits que nous avons lus çà et là dans l’histoire et qui sont tellement loin de nos mœurs que nous les oublions ou que nous les entrevoyons dans notre mémoire comme dans les brouillards