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le charme de l’histoire

se les concilier ou de les fléchir ; il ne songeait pas encore à les adorer. Mais depuis ces temps primitifs, ces contes ont été répétés dans les chaumières de tous les pays ; partout les mères les ont racontés à leurs enfants, en y ajoutant quelques détails nouveaux et sans doute en effaçant ceux qui pouvaient leur déplaire ou les choquer. Partout cependant le sentiment moral en est resté absent ; partout la cruauté, l’avidité y ont survécu, exprimées avec une naïveté inconsciente ! Le héros a toujours pour unique but un avantage matériel, tel qu’un trésor à conquérir ! Jamais il ne poursuit, comme les chevaliers du Moyen-Age, l’honneur, la gloire, la défense de l’opprimé, la délivrance chevaleresque de quelque belle captive. Il vise la richesse du voisin ; il s’en empare, par la force s’il est fort, par la ruse et le mensonge s’il est faible. Cette richesse est, d’après le conte, sa récompense. Il en jouit sans remords et sans honte, aux applaudissements du conteur[1].

  1. Dans le conte intitulé L’âne, la table et le bâton, l’amoureux dont l’amoureuse est pauvre annonce aux jeunes filles de la contrée qu’il épousera la plus riche d’entre elles et il les invite à venir toutes le lendemain devant sa maison avec leur argent dans leur tablier. Quand elles sont venues, il commande à son bâton enchanté de les tuer, prend leur argent, le verse dans le tablier de la jeune fille qu’il aime et s’écrie : « Maintenant, ma chérie, tu es la plus riche, je t’épouse » (Brueyre, loc. cit., p. 50).
    Dans Le jeune roi d’Easaidh Ruadh, le roi et la reine, après avoir tué le géant en écrasant l’œuf dans lequel était