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la rochefoucauld et la comtesse diane

ministre à garder ce qu’on lui avait donné ; il y ajoutait même presque toujours une nouvelle récompense. « Je n’y perdis rien » est, dans les mémoires de Sully, la conclusion ordinaire de son récit. Chaque siècle, comme chaque classe, a sa manière de comprendre et de sentir la délicatesse, cette « élégance de la probité », suivant l’heureuse expression de la Comtesse Diane. De nos jours encore nous entendons parler du sou pour livre, mais ce ne sont plus les Ministres qui se le font donner.

La Rochefoucauld répondra-t-il mieux à ce que nous attendrions aujourd’hui d’un homme délicat, ou même simplement d’un homme désintéressé ? Pendant la Fronde, il offre sa soumission à Mazarin, dans un projet de traité qu’il juge sans doute fort honorable pour lui, car il en reproduit le texte dans ses mémoires en s’indignant de ce que Mazarin ne l’ait pas accepté ; le traité, muet sur tout ce qui pouvait intéresser le bien public, stipulait uniquement des avantages personnels en faveur des divers seigneurs révoltés ; La Rochefoucauld exigeait pour sa part 120,000 écus, destinés à lui acheter un gouvernement ; puis, afin que l’honneur accompagnât l’argent, il prétendait aussi obtenir pour sa femme un tabouret à la Cour. Quelques années plus tard, son nom figure sur la liste des grands personnages soupçonnés d’être à la solde de Fouquet. Quand Louis XIV est devenu le maître incontesté du