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le charme de l’histoire

main que tout le monde lui tend dans le premier moment. Plus tard, tout le monde aura passé son chemin » (4). Ce n’est pas seulement à la perte d’argent que s’applique cette remarque, mais à tout revers, à toute disgrâce ; nos temps troublés nous en ont trop souvent fourni la preuve. Un homme est victime de quelque changement politique, ou, pour ne pas blesser sa conscience, il brise volontairement sa carrière. Aussitôt tous ses amis s’agitent ; les indifférents eux-mêmes s’émeuvent ; chacun, avec une ardeur sincère, cherche à remédier à son infortune. Mais que le premier effort n’aboutisse pas, que le temps s’écoule, on se lasse, on oublie ; il reste seul. Et si parfois on pense encore à lui, on semble se dire qu’après tout c’est sa destinée ! On lui reprocherait presque de se plaindre encore et de ne pas savoir se résigner !

Ne nous étonnons point qu’il en soit ainsi. Où serait le mérite du sacrifice s’il n’était pas suivi de souffrance ? Admirerions-nous l’homme de cœur qui immole à sa conscience sa situation ou sa fortune, s’il était certain de retrouver une fortune ou une position ? Il savait ce qui l’attendait ; il savait qu’il n’obtiendrait des hommes qu’une estime stérile et qu’il n’aurait pour récompense que le seul bonheur qui sur la terre dépend uniquement de nous-même : la satisfaction d’avoir fait son devoir. Voilà pourquoi il peut regarder avec fierté