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dufort de cheverny

la société tout entière. Le goût lui-même, symptôme toujours caractéristique de l’état moral d’une société, était bizarre. "Tous les ornements étaient baroques. Rien n’était d’aplomb, pas même les armes gravées soit sur la vaisselle, soit sur les cachets, soit sur les voitures" (I. 117). Là, comme partout, on se plaisait à être dans le faux ; la mode l’exigeait !

Un scepticisme général avait ébranlé toutes les bases sur lesquelles reposait l’ancienne société ; on ne croyait plus ni à la Royauté, ni à l’Église, ni à la Noblesse, ni au Parlement. Il semblait que chacun jouât un rôle et le jouât sans conviction. C’était par habitude ou par calcul, c’est-à-dire par faiblesse ou par égoïsme, que chacun faisait encore son métier de roi, de prince ou de courtisan. Ce n’était plus, comme sous Louis XIV, par respect pour la majesté royale ; c’était moins encore par ce sentiment plus ancien qui jadis commandait aux grands de faire un noble usage du pouvoir qui leur avait été départi sur les autres hommes. Même quand la formule féodale disait durement : « Entre toi, vilain, et ton seigneur, il n’y a point de juge », elle ajoutait : « Fors Dieu ! » Ce Dieu et ses commandements pouvaient être mal compris ; cependant les puissants de la terre étaient avertis qu’ils devaient porter leurs regards au-delà du temps présent ; à défaut de nos idées modernes, de ce respect de l’homme que