Page:Marc de Montifaud Sabine 1882.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

218
sabine

— Viens boire l’oubli ! lui criait une courtisane des Noces de Cana, la bouche encore humide du vin pourpré. Viens donc pétrir la chair tourmentée dans les audacieux modèles dont nos corps ont créé les moules impérissables ! — Tu as soif d’or, lui murmurait l’Alchimiste du xvie siècle ; que n’interprètes-tu, comme les maîtres flamands l’ont réalisé pour moi, ce tourment moderne de la richesse qui surprend l’âme du sage ? L’or affluerait dans ta maison.

— Mais la physionomie doucement ironique d’Érasme répliquait : — Qu’as-tu besoin de forcer la main au million ? Est-ce avec l’argent que nous avons écrit, sur le mode souverain et sublime, les pages qui nous ont faits vos maîtres ? — Et le Mona Lise aux yeux perlés d’ironie, couvrant de son sifflement sphinxtique la dissertation d’Érasme, lui jetait dans l’oreille : — Quelle entrave stupide apporte aujourd’hui la femme vivante dans ta destinée, la femme à laquelle tu sacrifies ? Les vierges aux païennes extases, tes créations picturales, tes Jocondes, à toi : voilà tes vraies sœurs et tes compagnes.

Éperdu, gagné par cette terreur superstitieuse, qui saisissait l’homme primitif, lorsqu’à l’entrée des grands bois il croyait sentir effleurer son visage du souffle de quelque divinité farouche, l’artiste se trouva glacé jusqu’aux moelles. Il voulut soulever la lampe, et s’enfuir, mais de nouveau il s’imagina s’entendre interpeller : — Moi, murmurait l’Antiope endormie, je t’ai livré ma nudité, je t’ai enseigné à peindre dans une atmosphère saturée d’amour. — Moi, répé-