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sabine

— Oh ! pensa Sabine, dire qu’ils se sont aimés ainsi, qu’ils s’aimaient encore et que ma pauvre Renée m’a vue lui arracher l’homme pour qui elle a sacrifié sa vie. Mais à quoi suis-je donc bonne, sinon à faire le malheur des autres ?… Oh ! mais il faut que je les retrouve… que je les rende à eux-mêmes.

Et, avec cette facilité à se laisser dominer par l’impression du moment, elle entra dans une nouvelle voie d’amertume, lasse, écœurée d’avoir déjà tant vécu. Cependant elle réfléchissait :

— Non, non, il y a eu entre Henri et moi une complicité de chair et d’organes, une vie de l’un à l’autre que, maintenant, personne ne saurait reprendre.

Elle repoussa le papier, gagnée par un autre ordre d’idées.

Il se fit comme une impossibilité pour elle en ce moment de supporter la sensation de ses cheveux contre son front ; le bleu des veines fixait immuablement une tache aux tempes ; la bouche maigrie s’affirmait comme déjà prête à laisser tomber les leçons de la maturité ; un grand frissonnement de facultés nouvelles montait dans l’œil élargi. Seule, perdue dans ce silence d’une matinée de fin d’hiver, elle sentait la pointe de l’épouvante la traverser d’une façon aiguë. Ses appétits de jouisseuse lui paraissaient assouvis pour l’éternité ; une torpeur grise, opiniâtre l’envahit bientôt, et le jour qui tardait à poindre se leva enfin si pâle, si triste, qu’il n’ajouta qu’un peu de froideur à la nuit.