Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/235

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Elle avait dix-huit ans. J’étais faible et chétif,
Débile aux grands yeux bleus. — Son nez était rétif
Et remontait un peu — bien peu… et la mutine
Vous lançait un regard… l’abeille qui butine
N’en a pas de pareil. — Bref, j’étais amoureux,
Amoureux à quinze ans ! les jeunes bienheureux
Ne voudront pas le croire. Ah ! vois les vieux qui bâillent !
Ce n’est pas une idylle, et bien sot ceux qui raillent
Cet amour de quinze ans. Pourtant je le sentis.
L’amour a-t-il un âge, et n’est-il point subi
Chez le vieillard et l’homme et chez la jeune fille ?
N’habite-t-il donc pas la soie et la guenille ?
Qui donc définira l’amour ? — Bref je l’aimais !
Je l’aimais d’une amour bien étrange et jamais
Je n’aimai de l’amour dont j’aimais cette tendre
Enfant. Mais je n’osais, ne voulais pas me vendre,
J’avais honte… Et j’étais tour à tour rouge, hagard,
Je ne possédais pas encore ce regard
Qui fascine les yeux… Je ramassai la pierre
Qu’avait frôlée sa robe et j’embrassai la terre
Qu’avait pressé son pas.   .   .   .   .   .   .   .   .
   .   .   .   .   .   .   .   . Qui me rendra jamais
La pierre et l’illusion ? — Je me croyais aimé !

Mars 1881.

Tromperie

Ce doux regard… La voix, le ton même est câlin,
Ce petit mouvement si gentil, si malin,
Cette mutinerie et ces mines boudeuses,
Cette bouche rebelle et la bouche rieuse,
Ce sourire si fin, et ces beaux yeux si doux…
Qui dirait qu’en arrière on se moque de vous ?

Mars 1881.