Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
PRÉFACE
xxxiii

en même temps de la musique, cette musique dont il avait l’amour nostalgique, depuis l’enfance. Mais ce n’est jamais de la fausse enluminure. Sans doute, Marcel Schwob se savait indiscipliné ; de là, peut-être, l’excès de sa doctrine.

Ses idées pouvaient paraître avancées en politique ou en morale ; mais au point de vue littéraire, Marcel Schwob était conservateur. Il avait le goût de la grammaire. Il aimait que tout fût dur et pur comme le diamant. J’ai trop travaillé avec lui pour ne pas avouer que sa discipline était cruelle. Mais je ne l’ai jamais vu chercher un mot. La phrase s’ordonnait dans son esprit, en même temps que le poëme en prose s’y réalisait. Il se mettait à sa table et écrivait sur les beaux papiers dont il avait parfois la coquetterie.

Marcel Schwob disait qu’il n’avait pas d’imagination, et il n’a jamais conçu de roman ; mais son imagination construisait sur des documents et se fortifiait des disciplines de l’érudition. Ainsi il traversait toutes les époques ; et il les a toutes vécues, en partant d’un détail infime, d’une petite lampe romaine, d’un fragment de texte, d’un tableau de maître anglais. Il vivait alors dans les pays qu’il évoquait : son esprit était vraiment comme un carrefour, le point d’arrêt de tant de caravanes. Les Chinois lettrés affirment qu’ils ont vécu dix mille existences antérieures ; dans une existence imaginaire, Marcel Schwob a vécu ces dix mille existences. Et il faut se rappeler qu’il a conçu tous ses livres entre vingt-deux et vingt-huit ans.

Marcel Schwob n’était qu’un prosateur, mais chacune de ses phrases est souvent un poëme ; et je crois que nous lui devons beaucoup pour la créa-