Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/59

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C’est comme les jeunes poètes, probablement. C’est d’ailleurs un professeur très jovial et qui fera bien travailler, à ce que je crois.” Boudhors ne lui a pas adressé la parole ; mais il n’a ni à se louer, ni à se plaindre de lui. “J’ai un excellent professeur d’histoire, M. Lemonnier ; celui-là est un jeune homme qui n’a pas trente ans. Il nous traite tout à fait en grands garçons, ne dictant pas de sommaires, nous disant qu’il ne nous fera pas dans son cours les grands faits que nous pouvons suffisamment trouver dans des manuels d’histoire quelconques, que nous sommes assez grands aujourd’hui pour savoir travailler, et que c’est pour cela qu’il nous laisse une partie du cours à apprendre seuls. Mon professeur de mathématiques, M. Pointelin, que j’ai vu ce matin, est dans les mêmes goûts.”

C’est le vieux lycée Louis-le-Grand, l’ancienne maison des Jésuites, avec ses tourelles que nous avons encore connues où M. Pointelin, le peintre des mélancoliques paysages en deux tons, fut aussi notre maître : “La nourriture à Louis-le-Grand est en effet excellente, comme disait M. Beaujean, et elle préparera extrêmement bien aux déjeuners et dîners de l’Ecole Normale où on sert de vieilles têtes de poissons pourries et de vieux morceaux de cuir bouilli. Le menu d’hier était : soupe à la carotte ; eau de haricots avec des morceaux de carottes dedans ; ragoût de bœuf, haricots de Soissons (je ne leur ai pas demandé s’ils étaient bien nés dans la bonne ville de Soissons, mais ils n’en avaient pas l’air). Pain et vin. C’est un vin fort bizarre qui est complètement transparent. Du reste on pourrait se servir avec avantage des réfectoires de Louis-le-Grand pour y transporter le glacier du Spat…”

Aux vacances de Pâques, Marcel retourne à Nantes ; mais c’est pour dire qu’il serait bien amusant d’aller faire un tour sur la côte de Bretagne pour se distraire de la tristesse de la ville. L’enfant est dans les premiers de sa classe ; il brille en version latine et en version grecque. Il commence à bien lire le grec, même quand c’est du Thucydide. Il est au courant des travaux de son oncle qui doit s’entendre avec Calmann Lévy pour une traduction des Mille et une Nuits, et avec Hachette pour une histoire des Turcs. M. Boudhors lui fait parfois un compliment, mais sous une forme désagréable, car il soupçonne qu’il se fait aider pour ses versions latines. L’enfant ne se distingue pas en français, ou plutôt on le ne distingue pas. M. Boudhors lui répète qu’il a un esprit fin et intelligent qu’il verrait avec grand plaisir fructifier en rhétorique. C’est pour la version latine seulement qu’il ira au Concours Général ; mais très secrètement Marcel Schwob écrit ses poésies, et des contes sentimentaux quand il va passer en rhé-