Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/62

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Schwob mène l’existence du cavalier, beaucoup plus dure que celle de fantassin. “La vie de quartier se déroule avec une horrible uniformité, d’autant plus que nous ne pouvons absolument pas sortir. Même le dimanche n’est pas libre, de sorte qu’il est inutile d’envoyer le Phare à une adresse quelconque ; je pourrai seulement le voir de temps en temps au Café du Commerce… Si tu savais ce que c’est lugubre ici, surtout avec le lieutenant instructeur que nous avons. Des coups de chambrière sur les doigts, quand on ne marche pas à la voltige — et ça n’est pas commode. Ce sont des exercices de cirque — faire le saut périlleux par-dessus les chevaux, — sauter dessus par derrière en passant sur la croupe, — tourner sur le cheval nu, les bras croisés, trois ou quatre fois — sauter par-dessus le cheval en se tenant au pommeau de la selle, sans toucher le cheval avec les pieds, etc. À la manœuvre à pied surtout, avec le froid qu’il fait en ce moment (17 novembre), on a les pieds et les mains glacés. Ce matin, il gelait à pierre fendre — et quand il faut, à quatre heures moins le quart, aller chercher une cruche de café à moitié habillé — je t’assure que ce n’est pas drôle, surtout quand on vous a mis votre lit en batterie le soir.”

“Enfin jusqu’à présent cela ne va pas trop mal, si ce n’est qu’on n’a pas cinq minutes à soi, depuis six heures et demie jusqu’à huit heures du soir. J’ai heureusement trouvé ici un camarade de lycée de Paris, qui est à la même batterie que moi, et un maréchal des logis qui me permet de venir causer avec lui, le soir, après l’appel de neuf heures, parce qu’il a son poêle allumé…”

On a de la salle de police pour ne pas saluer tout à fait militairement un officier dans la cour du quartier, ou pour avoir oublié de reporter sa gamelle vidée à la cuisine ; deux jours pour un bouton mal astiqué, ou pour un sous-pied mal ciré. À la corvée de litière, on ramasse le crottin avec ses mains. Le jeune soldat s’est foulé le pied à la voltige ; il fête la Sainte-Barbe, la fête des artilleurs : mais le bruit de la fête lui a donné une telle migraine qu’il n’y voit plus clair. Nuits sans sommeil au poste de police, galops sur des chevaux qu’on ne connaît pas, au petit polygone, couché sur le cheval en arrière. Une recrue est morte en cellule. On a attaché un soldat sur un cheval qu’on a mis au grand galop, et quand on l’a détaché il était mort étranglé et la colonne vertébrale brisée. Une enquête est ouverte. Mais les beaux jours de juin 1886 amènent un soulagement au camp, où Marcel Schwob reste attaché à la préparation de la fête, espèce de carrousel où ont lieu des courses à la lance, au sabre, etc.