Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/122

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pour tenir campagne, mais n’entendant rien à la défense d’une place, et même plus propres à en troubler les opérations qu’à les seconder. Incapables de manœuvrer une machine, de prendre part à l’exécution d’aucun ouvrage, ils ne savaient que s’exposer témérairement dans des sorties intempestives, dont ils revenaient chaque fois numériquement affaiblis, après s’être vaillamment battus, mais sans avoir contribué plus à la défense que l’homme qui, pour éteindre un incendie, y porterait, comme dit le proverbe, de l’eau dans le creux de sa main.

(3) Sourds aux prières de leurs tribuns, ils se virent enfin refuser l’ouverture des portes, et rugissaient, comme autant de bêtes fauves, de leur inaction forcée. Toutefois quelques jours ne se passèrent pas sans qu’ils montrassent avec éclat, comme on le verra plus tard, ce dont ils étaient capables.

(4) Dans un réduit de la partie méridionale des fortifications qui domine le Tigre, se dressait, sur un rocher à pic, une tour colossale, du haut de laquelle l’œil ne pouvait sans vertige plonger dans l’abîme ouvert au-dessous. À l’étage inférieur de cette tour venait aboutir un passage secret pratiqué dans la base même de la roche, d’où l’on montait, par des degrés artistement taillés, jusqu’au niveau du sol de la ville : on avait percé cette voie souterraine, afin de pouvoir, sans être vu, puiser de l’eau dans le fleuve. Il en existe de pareilles, à ma connaissance, dans toutes les forteresses qui jouissent de la proximité d’un cours d’eau.

(5) L’escarpement de la ville sur ce point rendant la vigilance des assiégés moins active, soixante-dix archers de la garde du roi de Perse, choisis parmi les plus résolus, les plus sûrs de leur point de mire, s’engagèrent à minuit dans cette obscure galerie, guidés par un habitant qui avait passé du côté de l’ennemi. Les hommes de ce détachement, favorisés par l’éloignement des postes, dont ils ne pouvaient être entendus, se glissèrent un à un dans la tour, gagnèrent ainsi la plate-forme du troisième étage, et s’y tinrent cachés jusqu’au jour. Alors ils arborèrent une casaque rouge, signal convenu de l’assaut. Puis, à la vue de leur armée qui se déploie autour de la ville, ils vident à leurs pieds leurs carquois, en jetant de grands cris pour s’animer ; et les voilà qui lancent leurs traits çà et là avec une justesse de coup d’œil merveilleuse. Aussitôt l’armée des Perses s’ébranle, leurs masses profondes se ruent sur la ville avec plus de furie que jamais.

(6) On hésite ; on ne sait d’abord à qui courir, ou de l’ennemi qui d’en haut lance la mort sur nos têtes, ou de cette multitude immense déjà prête à escalader nos créneaux. Enfin la défense se partage ; on choisit parmi les batistes cinq des plus transportables ; on les dresse contre la tour, et les traits en partent avec une roideur qui souvent perce deux archers à la fois. La place fut bientôt nette, les uns tombant blessés à mort, les autres se précipitant saisis d’effroi au seul sifflement des machines, et se brisant les membres dans leur chute.

(7) Cette exécution terminée, les assiégés, tranquilles de ce côté, se hâtent de remettre les balistes à leur place ; et l’effort commun se reporte vers la défense des murailles.

(8) L’indignation contre le traître doublait l’énergie du soldat. Il n’en était pas un qui ne courût plus aisément sur les remparts, et d’un pied plus ferme qu’il ne l’eût fait en plaine. Leur bras imprimait aux traits les plus pesants une force et une rapidité si extraordinaires, que les ennemis, qui attaquaient du côté du sud, ne purent tenir, et se virent ramenés dans leur camp, avec des pertes sensibles à déplorer.

Chapitre VI

(1) La fortune avait semblé nous sourire. La