Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/127

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portait sous son casque. Nous atteignîmes l’eau par ce moyen, et en tirâmes, comme avec une éponge, de quoi nous désaltérer complètement.

(9) Nous nous dirigeâmes ensuite en toute hâte vers un point de l’Euphrate où se trouvait un bac anciennement établi pour le passage des hommes et du bétail.

(10) Tout à coup nous voyons de loin un gros de cavalerie romaine avec ses enseignes, fuyant en désordre devant une multitude de Perses qui semblait avoir, je ne sais d’où, surgi sur ses derrières.

(11) Cette rencontre m’a fourni le commentaire de la tradition des terrigènes. C’est de la soudaineté de leur apparition, effet sans doute d’une vélocité singulière, que sera née la croyance de leur origine merveilleuse. Ils étaient subitement visibles sur divers points, et partout inconnus. C’était assez, dans cette antiquité si éprise des fables, pour mériter le nom de Spartes qu’on leur a donné, comme si effectivement ils fussent sortis de la terre.

(12) Nous comprîmes aussitôt qu’il n’y avait de salut pour nous que dans la fuite ; et, nous glissant entre les buissons et les bruyères, nous cherchâmes à gagner les monts. De là nous parvînmes à Mélitène, dans l’Arménie Mineure. Nous y trouvâmes notre général au moment d’en repartir, et nous revînmes avec lui à Antioche.

Chapitre IX

(1) Mais déjà l’automne touchait à sa fin. Sapor et les Perses, à qui l’approche menaçante du signe du Chevreau défendait de pénétrer plus avant sur nos terres, songeaient à retourner chez eux avec le butin et les captifs faits à Amida.

(2) Pour couronner dignement les scènes de meurtre et de pillage dont cette cité déplorable avait été le théâtre, on fit périr par le gibet le comte Élien et les tribuns qui avaient si vaillamment défendu les murs, et fait éprouver de si grandes pertes aux ennemis. Iacobus et Cesius, trésoriers du général de la cavalerie, et nombre de protecteurs, furent entraînés les mains liées derrière le dos ; et, après d’ardentes perquisitions pour les découvrir, tous les individus nés au-delà du Tigre furent confondus dans un massacre général.

(3) La femme de Craugase s’était vue respectée dans son honneur, et traitée en personne de haute qualité ; mais, malgré ces marques de considération et de plus grandes encore qu’on lui faisait entrevoir, elle ne laissait pas de déplorer l’obligation d’aller vivre, séparée de son mari, dans un autre univers.

(4) En réfléchissant sur sa situation, elle appréhendait tout de l’avenir ; et son cœur était partagé entre le tourment de l’absence et l’effroi de passer dans les bras d’un autre. Elle chargea secrètement un serviteur d’une fidélité éprouvée, et à qui elle fit une confidence entière, d’aller trouver son mari à Nisibe, pour l’instruire de sa position, et le presser en son nom de venir la joindre où une vie tranquille les attendait tous deux. Cet homme connaissait tous les chemins de la Mésopotamie ; il devait traverser le mont Izale, et passer entre les deux forteresses de Maride et de Lorne.

(5) Le messager part avec ses instructions, et gagne bientôt Nisibe, ne prenant que des sentiers détournés et des chemins de traverse. Là il se donne comme ignorant du sort de sa maîtresse, dont la mort, dit-il, est probable. Une occasion de s’évader s’était offerte à lui, et il en avait profité. Considéré comme sans conséquence, il communiqua sans peine avec Craugase, reçut de celui-ci l’assurance qu’il ne demandait pas mieux que de rejoindre