Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/128

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sa femme, dès qu’il le pourrait sans danger. L’esclave revint alors furtivement porter à sa maîtresse la réponse désirée. Celle-ci ne l’eut pas plutôt reçue, qu’elle supplia le roi de prendre, avant de quitter le territoire romain, les mesures nécessaires pour assurer, s’il était possible, l’évasion de son mari.

(6) Cet homme qu’on avait vu revenir inopinément, puis s’évanouir soudain sans cause connue, excita au plus haut degré les soupçons du duc Cassien et des premiers magistrats de la ville. Ils éclatèrent en menaces contre Craugase, qui, disaient-ils hautement, ne pouvait être étranger à ce retour et à cette disparition.

(7) Celui-ci eut peur d’être accusé de trahison ; et, tremblant surtout qu’un transfuge ne vînt révéler que sa femme non seulement vivait, mais était l’objet des plus grandes déférences, il feignit de rechercher en mariage une fille de haute distinction. Sous prétexte de quelques préparatifs pour le banquet nuptial, il se rendit à sa maison de campagne, située à huit milles de Nisibe, et de là courut à toute bride au-devant d’un corps de fourrageurs perses, qu’il savait être dirigé de ce côté. Reçu par eux à bras ouverts dès qu’il se fut fait connaître, il était remis cinq jours après entre les mains de Tamsapor, qui le présenta au roi. On lui rendit ses biens, sa famille et sa femme, qu’il perdit quelques mois après. Craugase forme pendant à Antonin ; mais, pour me servir de l’expression d’un poète célèbre, il n’en approche que de loin.

(8) Antonin, tête vaste, pleine d’expérience et de ressources, avait lui seul tout combiné et exécuté. L’esprit de Craugase était de moindre portée. Son nom cependant n’a pas fait moins de bruit. Tous ces incidents avaient suivi de près le sac d’Amida.

(9) Mais Sapor, bien qu’il se parât d’un air de sécurité et de triomphe, éprouvait au fond du cœur une violente agitation, en songeant par quels douloureux sacrifices il avait acheté ce succès. Il avait effectivement, dans les diverses phases du siège, perdu beaucoup plus de monde qu’il ne nous en avait pris ou tué. Comme autrefois à Nisibe et à Singare, son innombrable armée, durant les soixante-treize jours qu’elle avait passé devant Amida, s’était vue diminuée de trente mille combattants. Le dénombrement en a été fait depuis par Discénès, tribun des notaires, qui a pu facilement vérifier le calcul ; car dans les cadavres romains l’affaissement et l’altération des chairs est si rapide, que pas un n’est reconnaissable au bout de quatre jours ; tandis que ceux des Perses semblent acquérir la dureté du bois, sans subir aucune décomposition sensible. La cause en est dans leurs habitudes de vie plus tempérantes, et dans cette constitution sèche qu’ils doivent à l’atmosphère brûlante de leur pays.

Chapitre X

(1) Pendant que cette tourmente se déchaînait aux extrémités de l’Orient, la ville éternelle se voyait menacée prochainement des horreurs de la famine ; et la populace, pour qui c’est là le pire de tous les maux, s’en prenait outrageusement à Tertulle, alors préfet de Rome. Rien n’était plus déraisonnable ; car il ne dépendait pas du préfet que les vaisseaux d’approvisionnement entrassent à point nommé dans le port d’Auguste,