Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/234

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bord. Il forma ensuite trois divisions de la flotte, en garda deux sous son commandement, et remit à Victor la direction de la troisième, composée de cinq navires, avec mission de passer rapidement le fleuve aux premières ombres de la nuit, et d’occuper le rivage opposé.

(5) Cette résolution alarma au dernier point ses lieutenants, qui tous, d’une commune voix, le supplièrent d’y renoncer. Mais il fut inébranlable. Les galères obéirent ; elles déployèrent leurs enseignes, et furent bientôt hors de vue. Au moment d’aborder, elles se virent accueillies par une pluie de feux et de matières combustibles, et eussent été réduites en cendres avec les hommes qui les montaient, sans l’énergique décision de Julien, qui, s’écriant que ces feux étaient le signal convenu de débarquement, entraîna tout le reste de la flotte à faire force de rames.

(6) Ce mouvement, exécuté avec promptitude, dégagea les cinq navires, qui prirent terre sans grand dommage ; et le reste des troupes, après une action très vive, et malgré les pierres et les traits de toute espèce dont on les accablait d’en haut, put enfin couronner les escarpements du fleuve et s’y maintenir.

(7) On a beaucoup vanté Sertorius d’avoir, tout armé, la cuirasse sur le dos, traversé le Rhône à la nage. Que dire de ceux des nôtres qui par point d’honneur en cette occasion, et pour suivre leur drapeau, se risquèrent, sans autre soutien que leurs larges et convexes boucliers, sur l’eau profonde et tourbillonnante du fleuve, et qui, bien que novices en cette manœuvre, luttèrent en quelque sorte de vitesse avec les vaisseaux ?

(8) Les Perses nous opposèrent les rangs serrés de leurs cataphractes, dont l’armure d’acier flexible frappe d’éblouissement leurs adversaires, et qui montent des chevaux caparaçonnés d’un cuir épais. Leurs escadrons s’appuyaient sur plusieurs lignes d’infanterie armés de longs boucliers convexes, et dont le tissu d’osier était recouvert de peaux non tannées. Derrière manœuvraient les éléphants, montagnes mouvantes, nous menaçant de loin d’un conflit dont nous avions déjà fait la terrible expérience.

(9) L’empereur, de son côté, adopta l’ordre homérique d’intercaler ce qu’il avait de moins sûr dans son infanterie, entre le premier corps de bataille et la réserve. Cette troupe en effet, s’il l’eût mise en front, suffisait, lâchant le pied, pour entraîner la déroute du reste ; et, placée en queue, elle n’eût rien eu derrière elle pour la contenir. Quant à lui, il ne faisait que voltiger de l’avant à l’arrière avec un corps d’auxiliaires, légèrement armés.

(10) Dès que les deux armées sont en présence, les Romains agitent leurs aigrettes, secouent leurs boucliers et s’avancent avec lenteur, marquant le pas comme sur une mesure d’anapeste. L’action commence par quelques traits lancés hors des rangs, et déjà du sol battu s’élèvent des tourbillons de poussière.

(11) Au son martial du clairon se joint l’excitation des cris poussés, suivant l’usage, de part et d’autre. On s’aborde à coups de piques et d’épées. Nos gens, serrant de près l’ennemi, ont d’autant moins à souffrir de ses flèches. Julien semblait se multiplier, portant du secours où l’on pliait, ranimant les courages qu’il voyait faiblir.

(12) Enfin la première ligne des Perses commença peu à peu à rétrograder, puis