Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/24

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de détails, même insignifiants, les rapports qu’il adressait à Constance. A la fin, sommé par le prince de paraître devant lui, il entre au consistoire[1] ; et là, sans aucune préparation, et du ton le plus inconsidéré : « César, dit-il, il faut partir. Obéissez à l’ordre que vous avez reçu ; et sachez bien qu’à la moindre hésitation de votre part, je supprime ce qui est alloué pour votre entretien de bouche et celui de votre palais ». Après cette étrange apostrophe, il sortit de l’air d’un supérieur mécontent, et refusa obstinément de reparaître à la cour, quelque injonction qu’il en reçût. Gallus, outré de ce qu’il appelait une offense à sa personne et à sa dignité, s’assura aussitôt du préfet, en plaçant près de lui un poste de protecteurs choisis parmi ses affidés.

A ce coup d’autorité, Montius, alors questeur, esprit sujet à l’entraînement, mais à qui toute violence était antipathique, crut devoir, dans l’intérêt commun, se porter médiateur. Il réunit les chefs des cohortes palatines, et commence devant eux par insinuer sans aigreur que ce qu’on avait fait n’était ni convenable ni utile. Pais, s’échauffant peu à peu, il éleva la voix, et dit d’un ton d’amertume qu’après un tel procédé on n’avait plus qu’à renverser les statues de l’empereur, et mettre à mort le préfet.

Gallus se redressa comme un serpent blessé, lorsqu’on lui rapporta ces paroles. Préoccupé déjà de vues gigantesques, et d’ailleurs incapable d’hésiter sur les moyens quand il s’agissait de sa propre sûreté, il fait mettre sur pied toutes ses forces, et fulmine, en grinçant les dents, cette allocution à la troupe étonnée : « A moi, braves amis ! notre péril est commun. Voici qui est nouveau et même étrange. Montius va déclamant contre nous, et nous signale avec emphase comme réfractaires, comme rebelles à la majesté impériale ! Et pourquoi cet emportement ? Parce qu’un préfet insolent a méconnu son devoir, et que je l’ai mis sous bonne garde, seulement pour lui donner une leçon ».

Il n’en fallut pas davantage à cette soldatesque avide de troubles. Montius se trouvait dans le voisinage. Ils se jettent sur ce vieillard infirme et débile, lui attachent des cordes grossières aux deux jambes, et le traînent presque écartelé, et retenant à peine un souffle de vie, jusqu’au prétoire du préfet. Domitien est également assailli, précipité par les degrés, garrotté des mêmes liens ; et tous deux sont ainsi tirés çà et là au travers de la ville, de toute la vitesse des jambes de leurs bourreaux. Bientôt leurs cadavres sont démembrés ; on foule encore sous les pieds les deux troncs, jusqu’à en effacer toute trace de la forme humaine ; et la rage du soldat, enfin assouvie, abandonne ces restes au courant du fleuve. Une circonstance avait particulièrement poussé ces forcenés à cet excès de frénésie : ce fut l’apparition soudaine au milieu d’eux d’un nommé Luscus, préposé à quelque partie du service de la ville, et qui, pareil au précepteur, animant de la voix ses manœuvres au travail, n’avait cessé par des vociférations de les exciter à ne pas s’arrêter en si beau chemin. Ce misérable fut, peu de temps après, brûlé vif pour ce même fait.

Les noms Épigonius et Eusèbe étaient sortis à plusieurs reprises de la bouche mourante de Montius, déchiré par les mains de ces furieux, mais sans qu’il eût articulé ni profession ni qualité. On fit jouer plus d’un ressort pour découvrir à qui appartenaient ces deux noms ; et, afin de profiter de l’agitation des esprits, on fit venir de Ly-

  1. Salle du conseil.