Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/244

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qui traitait la sienne avec tant d’indifférence. Tous les assistants fondaient en larmes ; mais Julien leur dit qu’il était inconvenant de pleurer celui qui allait au ciel prendre place parmi les astres ; et cette réprimande, faite du ton de maître, leur imposa silence. Il eut alors un sérieux entretien avec les philosophes Maxime et Priscus sur l’âme et sur la transcendance de sa nature. Mais sa blessure se rouvrit ; et le gonflement des artères lui rendant la respiration difficile, il demanda de l’eau fraîche qu’il but ; après quoi il expira sans agonie vers le milieu de la nuit, dans la trente et unième année de son âge. Il était né à Constantinople. Orphelin dès l’enfance, il avait perdu son père au milieu de cette proscription générale qu’attira la mort de l’empereur Constantin sur la tête de ceux qui avaient des droits à sa succession ; et longtemps avant il avait été privé de sa mère Basiline, issue d’une ancienne et illustre famille.

IV. Julien mérite d’être compté sans doute au nombre des plus grands caractères par ses nobles qualités et par les grandes choses qu’il accomplit. Les moralistes admettent quatre vertus principales, la chasteté, la prudence, la justice et le courage ; et quatre accessoires, en quelque sorte en dehors de l’âme, le talent militaire, l’autorité, le bonheur, la libéralité. Julien consacra sa vie à les acquérir toutes.

Il était chaste à ce point qu’il resta, du moment qu’il eut perdu sa femme, étranger à tout commerce des sens. Il avait sans cesse présentes à l’esprit les paroles que Platon met dans la bouche de Sophocle le Tragique. Interrogé dans sa vieillesse si la passion des femmes existait encore en lui, le poète répondit que non, et ajouta qu’il se félicitait grandement d’avoir secoué le joug de la plus violente, de la plus inexorable des tyrannies. Pour s’affermir encore dans cette règle de conduite, Julien se plaisait à répéter ce passage du poète lyrique Bacchylide, l’une de ses lectures favorites : « La chasteté, pour les hommes placés en évidence, est un vernis non moins favorable que celui dont le peintre embellit les traits sur la toile. » Même dans la force de l’âge, Julien sut se préserver si bien de toute tentation de ce genre, que les serviteurs qui l’approchaient de plus près n’eurent pas même le soupçon (ce qui est bien rare) qu’il y eût jamais succombé.

Cette continence était grandement favorisée par les restrictions qu’il s’imposait en fait de nourriture et de sommeil, et qu’il observait dans son palais avec même rigueur que dans les camps. On était confondu en voyant à quoi se réduisait l’ordinaire de l’empereur, en qualité comme en quantité. C’était à croire, et peut-être non sans fondement, qu’on le verrait reprendre un jour le manteau du philosophe. En campagne, il n’était pas rare qu’il mangeât debout comme les soldats, et son repas n’était ni moins simple ni moins sommaire. Aussitôt qu’un court sommeil avait reposé son corps endurci à la fatigue, il se levait et allait en personne visiter postes et sentinelles, puis revenait se livrer à ses doctes élucubrations. Si les nocturnes flambeaux témoins de ses veilles avaient pu parler, on saurait à quel point différait de certains princes celui qui n’obéissait pas même aux commandements de la nature.

Son intelligence était aussi vaste que saine. Quelques traits au hasard permettront d’en ju-