Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/251

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tout sans disputer. Il obtint cependant, mais à grande peine, que Nisibe et Singare ne passassent que sans leurs habitants sous l’obéissance de la Perse, et que lors de la reddition des autres places il fût libre aux sujets romains de se rendre dans quelqu’une des nôtres.

(12) Par une clause additionnelle, concession déloyale autant que funeste, il fut stipulé qu’Arsace, l’ancien et fidèle allié du peuple romain, ne pourrait à l’avenir être secouru par nous contre les Perses. L’ennemi voulait par là d’abord punir personnellement ce prince du ravage de la province de Chiliocome qu’il avait opéré par l’ordre de Julien, et, subsidiairement, se ménager des facilités pour envahir plus tard l’Arménie. Le traité eut effectivement pour résultat la captivité d’Arsace, et, par suite, des déchirements intérieurs dont profitèrent les Perses pour s’emparer d’Artaxate et de presque toute la frontière de l’Arménie du côté des Mèdes.

(13) Dès que cette ignoble transaction eut été ratifiée, des otages furent échangés pour garantie de son exécution. Ce furent de notre côté Nevitte, Victor ainsi que des tribuns des premiers corps de l’armée ; et du côté dès Perses, Binésès, l’un de leurs plus hauts satrapes, et trois autres personnes de marque.

(14) La paix fut conclue pour trente ans, et, sanctionnée avec les formes sacramentelles. Nous primes pour notre retour une route différente, afin d’éviter le mauvais pas et les aspérités que l’on rencontre en suivant les sinuosités du fleuve. Mais les horreurs de la soif se joignirent alors pour nous à celles de la faim.

Chapitre VIII

(1) Cette paix, dont l’humanité avait été le prétexte, devint funeste à plus d’un d’entre nous. Ceux-ci exténués par la faim, et hors d’état de suivre la marche, restaient en arrière et ne reparaissaient plus. Ceux-là gagnaient le fleuve, et s’y noyaient en voulant le traverser. D’autres, assez heureux pour atteindre l’autre rive, tombaient isolément dans les mains, soit des Sarrasins, soit même des partis persans que le brusque passage des Germains avait précédemment délogés, et se voyaient égorgés comme des agneaux, ou emmenés au loin pour être vendus.

(2) Mais dès que la trompette eut officiellement donné le signal du passage, ce fut alors un entraînement, une précipitation qu’on ne saurait peindre, à s’assurer de moyens de salut, chacun pour son propre compte ; les uns sur des claies rassemblées au hasard, ou s’accrochant aux bêtes de somme qui nageaient çà et là ; d’autres soutenus sur des outres ; quelques-uns nageant de biais pour tromper la violence du courant.

(3) L’empereur passa d’abord avec peu de monde sur les petites embarcations qu’on avait pu sauver de l’incendie de la flotte, puis leur fit, par un mouvement de va-et-vient, ramener successivement le reste. Ainsi, grâce à la faveur divine, tous ceux dont l’impatience n’avait pas fait des victimes purent arriver tant bien que mal à l’autre bord.

(4) Nous n’étions pas cependant au terme de nos angoisses. Voilà qu’on apprend par des coureurs que les Perses jettent un pont sur un point éloigné. Leur intention était sans doute d’intercepter les malades et les traîneurs qui s’isoleraient du reste sur la foi du traité, ou, par-ci par-là, quelques bêtes de somme fatiguées. Mais ils abandonnèrent ce traître projet dès qu’ils le virent éventé.

(5) Cette dernière alarme nous fit forcer la marche, et nous arrivâmes près d’Hatra, ville