Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/253

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affronts qu’il avait essuyés devant leurs murs, et les flots de sang qu’il lui en avait coûté.

(14) Il est incontestable, en effet, que, sans la force inexpugnable des défenses de cette ville et l’excellence de son assiette, la domination des Perses se serait étendue sur tout l’est de l’empire. Au milieu de leurs vives alarmes, les infortunés cependant conservaient une lueur d’espoir. Ils se flattaient que l’empereur, ou de son propre mouvement ou vaincu par leurs prières, reviendrait sur ce fatal abandon du plus ferme boulevard de l’Orient.

(15) Tandis que, diversement raconté, le récit de nos malheurs se répandait de toutes parts, nous eûmes bientôt consumé la faible ressource du convoi de vivres qui nous était survenu ; et, pour peu que nous eût manqué la chair des bêtes de somme que nous avions abattues, nous en étions réduits à nous dévorer les uns les autres. Il en résulta l’abandon de la plus grande partie du bagage et même des armes. Enfin la disette était si affreuse, que le boisseau de froment, quand par hasard il en paraissait un au camp, se payait au moins dix deniers d’or.

(16) D’Ur nous arrivâmes à Thilsaphate, où Sébastien et Procope, ainsi que l’exigeait la circonstance, vinrent à notre rencontre avec les tribuns et les principaux officiers des corps qui leur avaient été confiés pour la garde de la Mésopotamie, et furent gracieusement accueillis.

(17) De là nous hâtâmes la marche, et Nisibe, tant désirée, s’offrit enfin à nos regards. Mais Jovien se contenta de camper autour de la ville, et refusa obstinément aux instantes prières du peuple de loger dans le palais, suivant l’usage des empereurs. Il eût rougi de consacrer par sa présence dans les murs la concession d’une ville imprenable à un irréconciliable ennemi.

(18) Le soir même de ce jour, Jovien, le premier des notaires, le même qui s’était introduit au moyen d’une mine dans les murs de Mahozamalcha, fut arraché de la table où il soupait, conduit à l’écart et précipité dans un puits desséché, que l’on combla de pierres. Il avait été désigné par quelques voix, après la mort de Julien, comme digne de l’empire. L’autre Jovien étant nommé, celui-ci se montra peu prudent, tint des propos sur l’élection, donna des dîners aux officiers. Telle est la cause probable de cette exécution clandestine.

Chapitre IX

(1) Le lendemain, Binésès, déjà cité comme l’un des principaux officiers de l’armée perse, vint, en serviteur empressé du roi, réclamer avec insistance l’exécution du traité. Sur l’autorisation de Jovien, il entra dans la ville, et arbora sur la citadelle l’étendard de sa nation. C’était le signal funeste de l’expulsion des citoyens.

(2) Les malheureux, sommés de chercher une autre patrie, protestaient à mains jointes contre cet ordre fatal. Ils se faisaient fort, disaient-ils, sans que l’État leur fournît troupes ni vivres, de défendre eux-mêmes la place, comme ils l’avaient fait plus d’une fois avec succès. Combattant pour le sol natal, ils auraient sans doute la Providence pour eux. La classe élevée s’unissait au peuple dans cette prière ; mais c’étaient paroles jetées au vent. L’empereur, qui, certes, était préoccupé d’une tout autre crainte, alléguait celle d’être parjure.

(3) Sur quoi Sabinus, personnage distingué par sa naissance et sa fortune entre tous les magistrats municipaux, observa que Constance, aux prises avec une guerre terrible et souvent malheureuse contre les Perses, réduit