Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/275

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du maître fait mouvoir, et qui sauvent ou tuent suivant son caprice, la mort est un mal affreux, dont les approches peuvent bien faire frémir.

(11) Quiconque en ce temps-là convoitait le bien d’autrui trouvait facile accès à la cour. On était sûr, avec une accusation pour passeport, d’être reçu en familier, en intime, et, si palpable qu’en fût l’injustice, de s’enrichir des dépouilles de l’innocent.

(12) L’empereur, méchant par caractère, accueillait, provoquait les dénonciations, et jouissait avec transport de la multiplicité des supplices. Il n’avait jamais lu cette belle pensée de Cicéron : "Le plus grand des malheurs est de se croire tout permis."

(13) Tant d’aveugles rigueurs ; dans une cause juste, déshonorèrent la victoire. Les victimes furent par milliers clouées sur le chevalet, ou flagellées par le bourreau. Que d’innocents, qui auraient mieux aimé périr dix fois sur un champ de bataille, se virent ainsi labourer les flancs, dépouiller de leurs biens comme coupables de lèse-majesté, ou expirèrent, le corps en lambeaux, dans des tortures plus affreuses que la mort !

(14) Enfin quand la soif de meurtres se fut assouvie, vint le tour des confiscations, des exils, et autres peines qu’on veut qualifier de douces, mais qui n’en sont pas moins des calamités véritables. Elles tombèrent de préférence sur les sommités sociales. Plus d’un personnage de noble famille, et non moins riche en vertus qu’en patrimoine, fut expulsé de ses biens, et alla dans l’exil mendier les secours d’une charité précaire ; le tout, pour grossir l’avoir de tel ou tel favori. Il n’y eut de terme à ces maux que dans la satiété du prince et de son entourage, gorgés enfin de dépouilles après s’être gorgés de sang.

(15) Aux calendes d’août, sous le consulat de Valentinien et de son frère, et avant la fin de la rébellion dont je viens de raconter les diverses phases et la catastrophe, le globe entier fut remué par un tremblement de terre sans exemple dans les fables ou dans l’histoire.

(16) Peu après le lever du soleil, et précédée par de furieux éclats de tonnerre qui se succédaient sans interruption, une secousse terrible ébranla tout le continent jusqu’à sa base. La masse entière des eaux de la mer se retira, laissant à nu ses cavités profondes, et toute la population des abîmes palpitante sur le limon. Pour la première fois depuis que le monde est né, le soleil visita de ses rayons de hautes montagnes et d’immenses vallées dont on ne faisait que soupçonner l’existence.

(17) Les équipages des navires, engravés, ou supportés à peine par ce qui restait d’eau, purent ramasser à la main les poissons et les coquillages. Mais tout à coup la scène change : les vagues refoulées reviennent plus furieuses, envahissant îles et terre ferme, et nivelant avec le sol les constructions des villes et des campagnes. On eût dit que les éléments s’étaient conjurés pour étaler successivement les plus étranges convulsions de la nature.

(18) Une multitude d’individus périt, submergée par ce retour prodigieux et imprévu de la marée. Le reflux, après la violente irruption des vagues,