Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/33

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traversa Constantinople sans aller saluer Gallus, et sans paraître faire attention à lui. Diverses personnes se présentèrent cependant de la part de l’empereur, soi-disant pour remplir près de César tel ou tel office, mais en réalité pour s’assurer de ses démarches et le garder à vue. De ce nombre était Léonce, depuis préfet de Rome, et qui se trouvait là en qualité de questeur ; Lucillien, qui prenait le titre de chef des gardes de César, et le tribun des scutaires, Bainobaudes.

Après une longue marche en plaine, on arriva à Andrinople, autrefois Uscudame, dans la région de l’Hémus. Pendant un repos de douze jours que Gallus prit dans cette ville, il apprit que des détachements de la légion thébaine, cantonnés dans les villes voisines, avaient envoyé vers lui une députation, pour l’engager, sous les promesses les plus positives, à ne pas aller plus loin, et à compter sur l’appui de leur corps, qui se trouvait réuni dans les environs. Mais la surveillance était si stricte, que Gallus ne put un seul instant s’aboucher avec les légionnaires et recevoir leur communication. Lettres sur lettres lui arrivant toujours de la part de l’empereur, il lui fallut donc repartir d’Andrinople, réduit à dix chariots de transport, nombre limité par les ordres, et laissant en arrière tout ce qu’il avait amené de suite, à la réserve de quelques officiers de la chambre et de la bouche. Un complet abandon de tout soin de sa personne attestait la précipitation de sa marche, sans cesse hâtée par l’un ou l’autre de ses gardiens. Tantôt il gémissait amèrement, tantôt se répandait en imprécations sur la fatale témérité qui le mettait ainsi, être passif et dégradé, à la merci de mains subalternes. Jusque dans le silence des nuits, trêve ordinaire aux soucis humains, sa conscience troublée suscitait autour de lui des fantômes, qui l’épouvantaient par des cris funèbres. Il lui semblait voir les spectres de ses nombreuses victimes, Domitien et Montius en tête, sur le point de le saisir, et de le livrer aux mains vengeresses des Furies. Car dans le sommeil l’âme, dégagée des liens du corps, mais toujours active et préoccupée des intérêts de la vie, se crée d’ordinaire ces simulacres des choses, que la philosophie appelle visions.

Ainsi Gallus se voyait fatalement entraîné vers le terme où il devait perdre l’empire avec la vie. Il franchit, rapidement les distances à l’aide des relais de l’État, et arriva à Pétobion, ville de la Norique. Là tout déguisement cessa. Le comte Barbation, qui avait commandé les gardes sous Gallus, parut avec Apodème, intendant de l’empereur. Ils avaient sous leurs ordres un détachement de soldats, tous comblés des bienfaits de Constance, et choisis par ce motif, comme également inaccessibles aux offres et à la pitié.

Le masque était levé. Un cordon de sentinelles fut mis autour du palais. Vers le soir, Barbation entre chez Gallus, lui fait quitter les vêtements royaux, et revêtir une tunique et un manteau ordinaire, ne cessant toutefois de protester avec serment que les ordres de l’empereur étaient de ne pas pousser les choses plus loin ; mais à l’instant même il lui dit : « Levez-vous ; » puis le fait monter dans un chariot de simple particulier, et le conduit près de la ville de Pola en Istrie, où l’on sait que Crispus, fils de Constantin, fut mis à mort.