Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/46

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autour de son innocence, et, de désespoir, se jeta dans l’usurpation pour sauver sa tête. Silvain, au surplus, s’était toujours défié du caractère versatile du prince, nonobstant les droits qu’il s’était acquis à sa reconnaissance en passant si à propos de son côté avant la bataille, de Murse, avec l’armature dont il était le chef. Il n’était pas plus rassuré, quoiqu’il ne manquât jamais de se prévaloir de ce titre, par le souvenir des faits d’armes de son père Bonite, qui, dans la guerre civile, avait chaudement embrassé, tout Frank qu’il était, le parti de Constantin contre Licinius.

Un fait assez singulier, c’est qu’avant tout symptôme de commotion dans les Gaules, un jour, le peuple réuni à Rome dans le grand Cirque, soit par allusion, soit par pressentiment, tout à coup s’était écrié : « Silvain est vaincu ».

On ne peut se faire une idée de la joie de Constance quand la nouvelle de la mort de Silvain arriva d’Agrippine. Son orgueil s’enfla de ce succès, où il voulut voir un signe de prédestination. Ennemi du courage par instinct, toujours, comme Domitien, il l’attaquait par les moyens contraires. L’entreprise si bien conduite d’Ursicin n’obtint pas même un éloge de lui. Loin de là, il se plaignit, dans ses lettres, de détournements effectués au préjudice du trésor public des Gaules, auquel certes personne n’avait touché. Il alla même à ce sujet jusqu’à prescrire une enquête, et fit subir un interrogatoire à Rémige, trésorier de la caisse militaire, le même qui plus tard, sous Valentinien, termina ses jours par un nœud coulant, à la suite de l’affaire des ambassadeurs de Tripoli.

De ce jour, l’emphase de l’adulation n’eut plus de bornes : « Constance touchait aux nues, commandait aux événements. » Lui-même il renchérissait sur ces extravagances, rebutant, maltraitant de paroles quiconque ne savait pas dire si bien. Tel Crésus, selon l’histoire, chassa de ses États Solon, qui n’entendait rien au langage de la flatterie ; tel Denys voulut mettre à mort Philoxène, pour avoir seul gardé le silence au milieu de l’applaudissement universel, pendant que le tyran débitait à sa cour de mauvais vers qu’il avait faits. Ce mal engendre tous les autres. Mais quel plaisir peut donc trouver le pouvoir à la louange, quand il n’est pas permis à la critique de se faire jour ?

VI. La sécurité était rétablie : c’était le tour des persécutions. On emprisonna par milliers ; on chargea les prévenus de chaînes. Paul nageait dans la joie. Ce délateur vomi par l’Érèbe avait trouvé carrière à ses funestes talents. Civils ou militaires, tous les membres du conseil durent prendre part aux informations. Par leur ordre on appliqua à la question Procule, appariteur de Silvain, homme d’un corps faible et valétudinaire ; ce qui excita beaucoup d’alarmes. On craignait que les efforts des bourreaux, triomphant d’une constitution si frêle, ne parvinssent à tirer de lui les plus compromettantes révélations ; mais il arriva tout le contraire. Ainsi que le patient l’a raconté depuis, il avait eu un songe qui lui défendait de livrer aucun innocent. Aussi se laissa-t-il torturer presque jusqu’à la mort, sans qu’il sortit de sa bouche un nom, un mot dont on pût s’autoriser contre un autre. De plus, il affirma constamment, et prouva jusqu’à l’évidence, que l’aventureuse tentative de Silvain n’était pas un plan prémédité, mais le seul effet de la force des choses. Il citait, à l’appui de son as-