Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/50

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leurs le baume de votre intervention tutélaire. S’il faut combattre, votre place est marquée à côté des enseignes. Osez dans l’occasion ; mais point de bravoure irréfléchie. Animez le soldat par votre exemple ; mais gardez-vous de tout entraînement vous-même. Soyez toujours là pour porter secours, si l’on plie. Gourmandez sans rudesse, quand c’est le courage qui vient à faiblir ; et sachez toujours par vous-même en quoi tel a bien mérité et tel autre a failli. Les circonstances nous pressent : allez, homme brave, commander à des braves ; et comptez de ma part sur la coopération la plus active, la plus sincère. Combattons de concert, afin que, s’il plaît à Dieu d’exaucer un jour mes vœux et de rendre la paix au monde, nous puissions, de concert, le gouverner avec modération, avec amour. Partout vous me serez présent ; et quoi qu’il arrive, moi, je ne vous ferai jamais défaut. Allez donc, allez ; tous nos vœux vous suivent ; et montrez-vous défenseur vigilant du poste où la confiance publique vous a élevé. »

Un transport universel accueillit ces dernières paroles. La troupe, à très peu d’exceptions, pour témoigner son enthousiasme du choix que venait de faire l’empereur, fit résonner avec fracas le bouclier sur le genou, ce qui exprime, chez le soldat, le comble de l’allégresse ; tandis que frapper de la pique sur le bouclier est signe qu’il s’irrite ou cherche à se courroucer. Une juste admiration éclatait à la vue de César revêtu de la pourpre impériale ; on ne se lassait pas de contempler ces yeux terribles à la fois et pleins de charme, et cette physionomie aussi gracieuse qu’animée. Le soldat en tirait l’horoscope du prince, comme s’il eût connu cet antique système qui fait dépendre les qualités morales de certains signes extérieurs. Et, ce qui donnait plus de poids à ses louanges, il savait y observer la juste mesure, et n’être en deçà ni au delà de la convenance et de la vérité. L’expression était telle qu’on eût pu l’attendre, non de soldats, mais de censeurs. Julien se plaça ensuite sur le char de l’empereur, et revint au palais, récitant tout bas ce vers d’Homère :

« La mort au manteau de pourpre et l’inflexible destin ont mis la main sur lui. »

Ceci se passait le 8 des ides de novembre (6 novembre), sous le consulat d’Arbétion et de Lollien.

Peu de jours après, Julien épousa Hélène, sœur de Constance ; et, après avoir avec célérité tout disposé pour son voyage, il partit, le jour des kalendes de décembre (1er décembre), avec une suite très modeste. L’empereur l’accompagna jusqu’aux deux colonnes que l’on voit à mi-chemin de Laumelle à Ticinum[1], d’où César prit en droite ligne la route de Turin. Une triste nouvelle l’y attendait. La cour la savait déjà ; mais, par mesure politique, on avait cru devoir la tenir secrète. Agrippine, colonie célèbre de la Germanie inférieure, venait, après un siège obstiné, d’être prise d’assaut et saccagée par les barbares. Ce malheur frappa l’esprit de Julien, comme un présage de ce que lui réservait l’avenir ; et plusieurs fois on l’entendit répéter avec amertume qu’il n’avait gagné à son avènement que de mourir moins tranquille.

A son entrée à Vienne, la population de tout

  1. Pavie.