Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/77

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devait, le sort aidant, décider du succès dans les circonstances même les plus critiques. Mais les Allemands, qu’une rage de destruction semblait avoir saisis, n’en continuaient pas moins leurs efforts désespérés. Ici, sans interruption, les dards, les javelots volent ; les carquois se vident ; là on se joint corps à corps ; le glaive frappe le glaive, et le tranchant des armes entr’ouvre les cuirasses. Le blessé, tant qu’il lui reste une goutte de sang, se soulève de terre, et s’acharne à combattre. Les chances de part et d’autre étaient à peu près égales. Les Germains l’emportaient par la taille et l’énergie des muscles ; les nôtres, par la tactique et la discipline ; aux uns, la férocité, la fougue ; aux autres, le sang-froid, le calcul. Ceux-ci comptaient sur l’intelligence, ceux-là sur la force du corps. Pliant quelquefois sous les coups de l’ennemi, le soldat romain se redressait bien vite. Le barbare, qui sentait ses jarrets se dérober, se battait encore, un genou en terre. L’horreur de céder ne saurait aller plus loin.

Tout à coup les principaux Germains, leurs rois en tête, et suivis de la multitude obscure, fondent sur notre ligne en colonne serrée, et s’ouvrent un passage jusqu’à la légion d’élite placée au centre de bataille, et formant ce qu’on appelle la réserve prétorienne. Là les rangs plus pressés, les files plus profondes, leur opposent une masse compacte, inébranlable comme une tour ; et le combat recommence avec une nouvelle vigueur. Attentifs à parer les coups, et s’escrimant du bouclier à la manière des mirmillons, nos soldats perçaient aisément les flancs de leurs adversaires, qui, dans leur fureur aveugle, négligeaient de se couvrir. Ceux-ci, prodigues de leurs vies, et ne songeant qu’à vaincre, font les derniers efforts pour rompre l’épaisseur de nos lignes. Mais les nôtres, de plus en plus sûrs de leurs coups, couvrent le sol de morts, et les rangées d’assaillants ne se succèdent que pour tomber tour à tour. Enfin leur courage fléchit, et les cris des blessés et des mourants achèvent de les glacer. Accablés de tant de pertes, il ne leur restait plus de force que pour fuir ; ce qu’ils tirent soudain dans toutes les directions, avec cette précipitation du désespoir qui pousse des naufragés à toucher la première plage qui se présente à leurs yeux.

Quiconque fut témoin de cette victoire conviendra qu’elle était plus souhaitée qu’elle n’était attendue. Sans doute un dieu propice intervint ce jour-là pour nous. Nos soldats chargèrent à dos les fuyards, et, à défaut de leurs épées émoussées qui plus d’une fois refusèrent le service, ils arrachaient la vie aux barbares avec leurs propres armes. Ni les yeux ne se rassasiaient de voir couler le sang, ni les bras de frapper. Nul ne reçut de quartier. Une foule de guerriers, blessés à mort, imploraient le trépas pour abréger leurs souffrances ; d’autres, au moment d’expirer, soulevaient un œil mourant, pour chercher une dernière fois la lumière. Des têtes tranchées par le large fer des javelots pendaient encore au tronc dont elles venaient d’être séparées. On trébuchait, on tombait par monceaux sur le sol détrempé de sang ; et plus d’un périt écrasé par les siens, qui s’était tiré du combat sans blessure. Les vainqueurs, enivrés de leurs succès, frappaient encore de leurs épées émoussées les casques splendides et les boucliers, qui sous leurs coups roulaient dans la poussière.

Enfin les barbares aux abois, acculés jusqu’au