Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/87

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par ta propre expérience de ce qu’il en coûte pour pousser trop loin la convoitise du bien d’autrui. La vérité n’a qu’un langage net et libre, et c’est le privilège de la grandeur de dire ce qu’on pense. Voici donc en peu de mots ma résolution, telle, on s’en souviendra, que je fat souvent notifiée. Les États de mes ancêtres s’étendaient jusqu’au cours du Strymon, jusqu’aux frontières de la Macédoine : vos propres annales en font foi. Voilà ce que j’ai droit de revendiquer, moi qui, soit dit sans présomption, l’emporte, par le nombre et l’éclat de mes vertus, sur tous mes prédécesseurs. Je n’oublie rien, et, depuis que j’ai l’âge d’homme, il n’est aucun de mes actes dont je me sois repenti. C’est donc un devoir pour moi de recouvrer l’Arménie ainsi que la Mésopotamie, enlevées à mon aïeul par une supercherie manifeste. Or, jamais nous n’avons admis votre maxime, proclamée avec tant d’emphase : Ruse ou valeur, en guerre le succès justifie tout. Veux-tu suivre un bon conseil ? Sacrifie, pour assurer le reste, une chétive possession, qui n’est pour toi que sanglante et désastreuse. Imite en cela la prudence du médecin qui applique le fer et le feu aux parties malades afin de préserver les parties saines. Il n’est pas jusqu’aux animaux à qui l’instinct n’enseigne, dans l’intérêt de leur repos, à séparer d’eux-mêmes ce qui les fait rechercher du chasseur. Quant à moi, je le déclare, si mon ambassadeur revient sans avoir conclu, je me mets, aussitôt que l’hiver sera passé, à la tête de toutes mes troupes ; et, fort de la justice de ma cause et de l’équité de mes propositions, je pousse les hostilités aussi loin qu’elles pourront aller. »

Constance médita longtemps sur le contenu de cette lettre, et, après mûre réflexion, y fit de sens rassis la réponse suivante :

« Constance toujours Auguste, vainqueur sur terre et sur mer, au roi Sapor, mon frère, salut. Je te félicite de ton heureux retour, en homme qui sera ton ami si tu veux:mais je ne saurais trop m’élever contre cette ambition insatiable et illimitée. Il te faut, dis-tu, l’Arménie ainsi que la Mésopotamie; et tu me conseilles de mutiler un corps sain, pour qu’il s’en porte mieux. Ce sont de ces avis qu’il est plus aisé de repousser que de suivre. Voici le vrai sans déguisement, le vrai manifeste, auquel de vaines forfanteries ne sauraient rien changer. Un des préfets de mon prétoire a cru bien faire d’ouvrir à mon insu, et par une obscure entremise, des négociations pour la paix avec un de tes généraux. Je ne blâme cette démarche ni ne la désavoue, supposant qu’il n’a été dit rien que de digne et de convenable, rien qui porte atteinte à la majesté impériale. Mais il serait absurde, il serait déshonorant, quand toutes les oreilles ne sont frappées que des succès de mon règne, quand la défaite des tyrans met tout le monde romain sous mes lois, de souffrir le démembrement de ce que j’ai su conserver intact au temps même où