Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/91

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qu’à se défendre. Le succès le disposait à la clémence ; aussi les reçut-il en grâce quand ils vinrent se livrer avec leurs biens et leurs enfants. De là se jetant sur les Chamaves, qu’il avait à punir d’une semblable agression, il les défait avec une égale promptitude. Une partie de la nation lui opposa une vive résistance, et fut faite prisonnière ; le reste gagna précipitamment ses retraites, où César s’abstint de les poursuivre, voulant ménager les forces de ses soldats. Les vaincus cependant, afin d’assurer leurs chances de salut, ne tardèrent pas à lui envoyer une députation qui implora la paix à genoux. Elle leur fut accordée, à la seule condition de retourner dans leur ancien pays.

IX. Heureux jusque-là dans ses entreprises, et roulant continuellement dans son esprit quelque pensée d’utilité pour les provinces, Julien résolut de réparer, si le temps le permettait, trois forts construits sur une même ligne pour défendre le passage de la Meuse, et qui avaient depuis longtemps succombé sous les efforts des barbares. L’exécution fut assez prompte pour ne pas causer de suspension sensible dans les opérations militaires ; et, afin de mettre à profit sa célérité, Julien approvisionna ces forteresses avec une partie des rations qu’il convoyait avec lui, à dos de soldats, depuis le commencement de la campagne, et qui représentaient encore la subsistance de dix-sept jours. Il comptait, pour remplacer ce prélèvement, sur les moissons des Chamaves ; mais cet espoir fut bien déçu. Le soldat eut consommé ce qu’il portait avant que le grain sur pied eût mûri ; et, ne trouvant plus de quoi vivre, il se répandit en menaces et en reproches : les épithètes d’Asiatique, de Grec efféminé, d’enjôleur, de savant imbécile, lui furent prodiguées. La troupe a toujours ses orateurs d’office. Il fallait entendre ceux-ci pérorer, et s’écrier tout haut : « Nous a-t-on ménagé les marches dans la neige et au travers des glaces ? Et, pour comble, au moment où nous tenons le sort de l’ennemi dans nos mains, voilà qu’il nous faut périr de la plus ignoble des morts, de la faim. Et qu’on n’aille pas nous traiter de séditieux ! Ce que nous demandons, par le ciel ! c’est du pain. Pour de l’or, pour de l’argent, on nous a dès longtemps déshabitués d’y toucher ou d’en voir. Nous ne serions pas traités plus mal si c’était en combattant contre l’État que nous eussions essuyé toutes ces fatigues et tous ces périls. » Il y avait du vrai dans ces plaintes. Après tant d’exploits, tant d’épreuves de tout genre, le soldat, épuisé par sa campagne des Gaules, en était encore, depuis que Julien avait pris le commandement, à ne recevoir ni gratification ni solde, Constance se refusant à ouvrir le trésor public, et Julien se trouvant personnellement trop pauvre pour y suppléer de son propre fonds. La suite prouva qu’il y avait chez l’empereur plus de malveillance encore que de parcimonie ; car un jour un simple soldat ayant demandé à Julien, selon l’usage, de quoi se faire raser, et Julien ne lui ayant donné que quelques pièces de menue monnaie, Gaudence, alors secrétaire d’État, qui était depuis longtemps dans les Gaules pour épier la conduite de César, prit texte de ce fait pour répandre contre lui les plus injurieuses calomnies. Ce même Gaudence, comme on le verra plus tard, fut dans la suite mis à mort par l’ordre de Julien.

X. Cependant César vint à bout de la sédition à force d’art et de caresses. On passe le