Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/92

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Rhin sur un pont de bateaux, et l’on met le pied sur le territoire des Alamans. Alors Sévère, général de la cavalerie, qui avait jusque-là fait preuve de talent et de bravoure, mollit tout d’un coup. Lui, qu’on vit tant de fois donner à tous et à chacun la leçon du courage, ne savait plus que conseiller lâchement d’éviter d’en venir aux mains, comme un homme qui aurait eu le pressentiment de sa mort prochaine. C’est ainsi, dit le livre de Tagès, que ceux qui sont prédestinés à être frappés de la foudre contractent une susceptibilité nerveuse qui les rend incapables de supporter le tonnerre ni tout autre bruit. Loin de pousser en avant avec sa vigueur accoutumée, ce général s’emporta jusqu’aux dernières menaces contre les guides qui marchaient allègrement en tête de l’armée, et cela pour leur faire déclarer d’une commune voix qu’ils ne savaient pas le chemin. Ces gens, intimidés, n’osèrent plus faire un pas.

Durant l’inaction forcée qui s’ensuivit arrive tout à coup Suomaire, l’un des rois alamans, avec sa suite. Jusqu’alors ennemi féroce et acharné du nom romain, il en était venu à considérer en ce moment comme une concession inespérée la conservation de son propre territoire. Sa démarche, son attitude étaient d’un suppliant. Julien le reçut en grâce, et le rassura. Suomaire se mit alors à sa discrétion, et ce fut à genoux qu’il implora la paix. Il l’obtint, à la condition de rendre tous les prisonniers, et de procurer au besoin des vivres aux troupes ; s’astreignant, comme un fournisseur ordinaire, à recevoir chaque fois une reconnaissance de ce qu’il avait livré, et à l’exhiber à toute réquisition, sous peine de livraison double.

L’arrangement conclu fut exécuté sans délai. Il s’agissait alors de parvenir à la résidence d’un autre roi nommé Hortaire, et l’on avait besoin pour cela d’un guide. L’ordre fut donné en conséquence à Nestica, tribun des scutaires, et à Charietton, officier d’une valeur éprouvée, de faire un prisonnier à tout prix. Ils ne tardèrent pas en effet à se saisir d’un jeune Alaman, à qui Julien promit la vie à condition qu’il montrerait le chemin. L’armée, sous la conduite de ce guide, rencontra d’abord un grand abatis d’arbres qui lui fermait la route ; mais, après un long circuit, elle atteignit enfin sa destination. La colère du soldat ne manqua pas de se signaler par l’incendie des moissons, le pillage des troupeaux, et par le massacre sans pitié de tout ce qui offrit résistance. Le roi fut frappé de ce désastre. Ce qu’il vit du nombre des légions et des ravages du feu lui fit croire que c’en était fait de sa puissance. Il vint donc également implorer son pardon, se soumettre à toutes les exigences, et fit serment, sur sa tête, de libérer tous les prisonniers. C’est sur cet article qu’on insistait le plus : cependant il n’en rendit d’abord qu’un petit nombre, et retint le reste. Ce manque de foi indigna Julien ; et quand le roi vint recevoir les présents d’usage, quatre de ses officiers les plus braves et les plus affidés furent gardés comme otages, et ne furent eux-mêmes relâchés qu’après reddition complète des captifs. Sommé alors de paraître devant César, Hortaire se prosterna, la terreur dans les yeux, et, dompté par la présence de son vainqueur ; s’entendit imposer la plus dure des conditions pour lui, mais qui n’était pourtant que l’exercice