Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/97

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s’étaient empressés, au moment où leurs ci-devant maîtres envahissaient notre territoire, d’en faire autant de leur côté. En un point seulement l’intelligence subsistait entre eux ; c’était pour la violation de nos frontières.

(2) Le châtiment qu’on se proposait de leur infliger était toutefois peu proportionné à la grandeur des offenses ; car il ne s’agissait que de les dépayser, en les transportant à distance suffisante pour les mettre hors d’état de nous nuire. Avertis par la conscience de leurs crimes,

(3) ils sentaient que la guerre allait, après une longue impunité, retomber sur eux de tout son poids. Ils se disposèrent donc à conjurer l’orage, en mettant en œuvre, suivant le cas, ruse, force ou prière. Mais à la première vue de l’armée ils furent comme frappés de la foudre. Croyant leur dernier moment venu, ils demandèrent la vie, offrant un tribut annuel en argent et en hommes valides, et enfin leur soumission entière. Mais leur parti était pris de refuser l’émigration, et l’on pouvait lire dans leur attitude et sur leur physionomie leur confiance entière dans les défenses naturelles du sol qu’ils avaient conquis par l’expulsion de leurs maîtres.

(4) Le rapide Parthisque, en effet, borde d’un côté les Limigantes, et, courant obliquement se jeter dans le Danube, forme du pays une espèce d’enclave allongée et terminée en pointe, que protège contre les Romains le fleuve principal, et qui oppose dans son affluent une forte barrière aux incursions des barbares. Le sol de cette péninsule, fréquemment détrempé par les débordements des deux rivières, est humide, marécageux, et il faut une parfaite connaissance des localités pour se guider sûrement au travers des forêts de saules dont elle est couverte. Une île, détachée de ce continent par la violence des eaux du Danube, y fait annexe un peu au-dessus du confluent.

(5) Les Limigantes, sur l’appel de Constance, passèrent fièrement de notre côté du fleuve. Comme la suite le fit voir, ce n’était pas chez eux un acte de déférence ; ils tenaient à montrer que l’aspect de notre force militaire ne leur imposait point. Ils nous bravaient par leur contenance, et semblaient exprimer qu’ils n’avaient voulu que refuser de plus près.

(6) Constance pressentit ce qui pouvait arriver. Il divisa l’armée en plusieurs corps ; et pendant que les barbares avançaient d’un air d’audace, il les fit envelopper avant qu’ils s’en fussent aperçus. Placé lui-même, avec une suite peu nombreuse, sur un tertre d’ailleurs bien entouré de sa garde, il tenta de les engager, par de douces paroles, à se montrer moins récalcitrants.

(7) Ceux-ci se consultaient, et semblaient flotter entre divers partis. Mais tout à coup, cachant la violence sous la ruse, et pensant qu’un simulacre d’humilité serait un moyen avantageux d’en venir aux mains, ils jettent au loin devant eux leurs boucliers, puis s’avancent insensiblement pour les reprendre, espérant ainsi gagner du terrain vers nous sans qu’il y parût.

(8) Cependant le temps marchait, et le jour déjà baissant conseillait de couper court à cette indécision. On lève les enseignes, et nos soldats abordent l’ennemi avec la fureur d’un incendie. De leur côté, les Limigantes serrent leurs rangs, et se précipitent en masse compacte vers le tertre où j’ai déjà dit que se tenait l’empereur, le menaçant du geste et de la voix.

(9) L’indignation de l’armée éclate à cet excès d’audace : en un clin d’œil elle adopte l’ordre de bataille triangulaire appelé, dans l’argot des soldats, tête de porc,