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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

D’ailleurs, les difficultés contre lesquelles une colonie d’émigrants est appelée à lutter, avant de pouvoir effectuer son nouvel établissement ; les peines qu’elle éprouve, jusqu’au moment où elle est en état de se suffire à elle-même pour sa subsistance, sont tellement décourageantes, que la nécessité seule peut engager les hommes à aller s’établir sur de nouvelles terres incultes.

Joignez à cela qu’il faut un capital pour cette entreprise comme pour toute autre ; les colons doivent être pourvus d’instruments d’agriculture et de ceux de quelques autres arts ; il faut leur fournir des aliments et des vêtements, jusqu’à ce qu’ils puissent se procurer par leur travail ces objets de première nécessité.

En supposant donc l’émigration pleinement libre, tandis que souvent elle ne l’est pas, peu de gens y auraient recours, excepté ceux qui ne peuvent pas, dans leur pays, trouver de quoi vivre. Mais si elle était portée au point de laisser à ceux qui seraient restés des moyens faciles de subsistance, bientôt elle cesserait d’elle-même ; la facilité d’élever des enfants et d’entretenir une famille comblerait en peu de temps le vide opéré dans la population.

Il y a quelques émigrations très-préjudiciables à la richesse et à la prospérité d’un pays ; mais ce ne sont pas celles qui sont occasionnées par la pauvreté ; ce sont les émigrations dues aux rigueurs exercées par quelques gouvernements arbitraires envers certaines classes d’hommes. L’intolérance religieuse a produit les plus considérables. Telle fut celle des Protestants qui quittèrent la France à la révocation de l’édit de Nantes. C’étaient des hommes habiles et laborieux ; ils portèrent leurs arts en Allemagne, en Prusse, en Hollande, en Angleterre, et privèrent la France de sujets utiles. L’Espagne ne s’est jamais relevée du coup que lui porta l’expulsion des Maures, sous Ferdinand et Isabelle ; et tous les trésors de l’Amérique n’ont pu compenser cette perte.

Mais pour revenir à la population de l’Angleterre, plus nous sentons l’impossibilité où nous sommes de pourvoir aux besoins d’une population excédante, plus nous devons profiter des moyens qui peuvent prévenir un mal sans remède. Tel est entr’autres le soin de répandre l’instruction dans la classe inférieure du peuple ; car cela ne peut manquer de leur donner plus de prévoyance.