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SUR L’ÉCONOMIE POLITIQUE

ne peut plus se procurer aucun objet d’agrément, je n’ai besoin que de l’argent nécessaire pour payer un petit nombre d’ouvriers, et acheter les grossiers vêtements que nous sommes obligés ma famille et moi de porter ; et, je vous le répète, le produit de la moitié de mes terres est plus que suffisant pour cela. »

Le pauvre John était désespéré ; de toutes parts il entendait s’élever le cri de la misère, et ne savait plus où cacher sa honte, lorsqu’enfin il vit arriver le dernier jour de cette semaine si féconde en tristes événements. Il courut chercher la fée, et, se jetant à ses genoux, il la supplia de révoquer son terrible arrêt, et de remettre toutes choses dans leur premier état.

La petite baguette s’agita de nouveau dans la main de la fée, et aussitôt le noble château remplaça la chaumière, les jardins reparurent, le pesant attelage reprit sa forme légère et gracieuse. Mais ce qui faisait surtout plaisir à voir, c’étaient les ouvriers courant à leurs métiers et reprenant leurs fuseaux, les jeunes filles et les vieilles femmes enchantées de retrouver leurs coussins à dentelles, et partout l’aspect de l’activité et du bonheur.

Cette leçon rendit John plus sage ; et depuis, chaque fois qu’on déplorait devant lui la dureté des temps, et qu’on en accusait le luxe des riches, il s’efforçait de prouver que les pauvres y trouvent leur profit ; et s’il ne pouvait réussir à convaincre ses auditeurs par la seule force de ses arguments, il racontait son histoire merveilleuse. Un soir, au cabaret, Rob Scar-Cron, qui avait écouté ses raisonnements, s’écria tout à coup :

« Comment donc ! pour que les pauvres gens comme nous trouvent à gagner leur vie, il faut que les riches dépensent une partie de leur fortune en objets superflus ! Voilà des paroles qui me semblent hors de sens, et, pour ma part, je sais fort bien que, si j’ai perdu mon gagne-pain, c’est par la faute de mon maître qui a follement dissipé tout son revenu. »

En effet, le jeune lord qu’il servait comme garde-chasse, n’ayant mis aucune borne à ses extravagances, avait dépensé jusqu’à son dernier sou, et alors le chasseur et sa meute, le garde-chasse et sa brillante livrée, tout avait été renvoyé.

« Maintenant, John, ajouta-t-il, je serais bien aise de savoir pourquoi nous perdons nos places. Est-ce parce qu’il y a trop de luxe ou parce qu’il n’y en a pas assez ? »