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CONTES POPULAIRES

John sentait qu’il y avait du vrai dans les paroles de Rob ; mais il ne voulut pas en convenir, et ne savait que répondre, lorsqu’une pensée vint le frapper comme un éclair.

« C’est parce qu’il y a trop peu de luxe, dit-il d’un air triomphant ; ne voyez-vous pas, Rob, que tant que votre maître a pu dépenser largement, il vous a gardé à son service, et qu’il ne vous a renvoyé que lorsqu’il a été ruiné ? »

Rob, qui était un rusé compagnon, vit tout de suite le côté faible de l’argument de John.

« Vous ne me faites ni plus ni moins qu’une chicane d’allemand, reprit-il ; car, supposons que tous les gens riches vinssent à se ruiner à force de satisfaire toutes leurs fantaisies, où en serions-nous ? tandis que si les riches dépensent avec prudence et modération, ils pourront continuer à nous employer. »

John était battu, et il en convint.

« Je vous accorde, Rob, que trop de luxe peut nous être nuisible aussi bien que trop d’économie ; mais vous conviendrez que, lorsqu’un homme ne dépense pas au-delà de ce qu’il possède, et que par conséquent il n’apporte aucun dérangement dans ses affaires, nous serions injustes de nous plaindre de son goût pour le luxe, puisque c’est par là qu’il nous fournit plus d’ouvrage et plus d’aisance. »

John rentra chez lui très-satisfait de la conviction qu’il avait acquise que la dissipation du riche ne peut appauvrir les classes inférieures qu’après avoir appauvri le riche lui-même.

« C’est une garantie, » pensait-il ; et, tout en songeant à cela, il en vint à cette conclusion : Qu’après tout le riche et le pauvre n’ont qu’un seul et même intérêt.

« Cela me semble étrange, disait-il en lui-même, car j’avais toujours imaginé qu’ils étaient aussi opposés l’un à l’autre que l’orient à l’occident ; mais à présent je suis convaincu que toutes les douceurs de la vie que nous pouvons nous procurer ont leur source dans le superflu du riche. »