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CONTES POPULAIRES

en trouverons très-bien ; j’aurais mieux fait d’attendre un peu plus tard pour acheter les vestes de tes frères.

— C’eût été plus sage encore de ne pas les acheter du tout, mon père, et c’est ce que vous auriez fait si vous aviez attendu davantage, car nous verrons de mauvais jours, autant que je puis le prévoir.

— Ne te décourage pas, mon enfant, s’écria Hopkins en lui frappant amicalement sur l’épaule ; tu vois tout au pire parce que tu n’as pas d’ouvrage ; mais certainement, ajouta-t-il en hésitant, la hausse des salaires ne peut être qu’une chose avantageuse.

— Avantageuse pour ceux qui ont de l’ouvrage, observa Dick d’un air sombre. Pour peu que dure cet état de choses, les fabricants seront tous ruinés, et alors il n’y aura plus d’ouvrage ni pour dix-huit francs ni pour trente-six. Près de la moitié des métiers de notre manufacture se détruisent dans l’inaction ; il en est de même de la grande machine à vapeur, qui a énormément coûté à mon maître. Mais que faire ? Tant que le chef de fabrique sera forcé de payer à ses ouvriers un salaire qui mange tous ses profits, moins il fera travailler, moins il perdra.

— Il semble que cette loi ait été faite pour se moquer de nous, dit madame Hopkins.

— C’est une utile leçon, reprit John en soupirant ; elle nous prouve bien clairement que toute augmentation dans les salaires ne peut que nous être fort nuisible.

— Vous êtes dans l’erreur, mon père, objecta Dick ; toutes les fois que les salaires sont haussés par une cause naturelle, c’est un signe de prospérité, et ce changement ne produit que du bien. Ainsi, l’année dernière, mon maître ayant plus de commandes qu’il n’en pouvait confectionner, annonça une augmentation dans la paie de ses ouvriers, et aussitôt il lui en arriva de tous les quartiers qui furent tous bien payés sans qu’il en éprouvât aucune gêne, parce que la vente allant mieux, il faisait de plus gros bénéfices. Quand la hausse des salaires est causée par une plus grande consommation de marchandises, tout le monde s’en trouve bien, maîtres et ouvriers ; mais lorsqu’elle n’est que le résultat d’une loi absurde et arbitraire, elle produit la ruine de tous, et ceux qui ont créé cette loi ne tarderont pas à en reconnaître l’abus. »

Cette observation fut vivement sentie par le pauvre John, qui