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CONTES POPULAIRES

— Je ne crois pas ; mais il y a beaucoup de serpents et d’autres reptiles venimeux. La première chose à faire en arrivant, c’est de couper les arbres, puis de construire de petites cabanes pour se loger avant de songer à semer du grain. Il faut que les émigrants emportent avec eux leurs outils, des chaudrons et des marmites, car on n’en trouve pas dans les forêts.

— Je suis surprise, dit madame Hopkins, que les ouvriers renvoyés des fabriques faute d’ouvrage, n’aient pas l’idée de s’embarquer pour aller cultiver ce nouveau pays.

— Il faut avoir de quoi payer son passage ; le capitaine d’un vaisseau ne peut pas prendre les voyageurs et les nourrir pendant la traversée sans rétribution : et d’ailleurs qu’iraient-ils faire là ? Un tisserand s’entend-il mieux qu’un enfant à couper et déraciner un arbre ? Il en aurait pour une semaine entière ; l’hiver viendrait avant qu’il eût bâti sa maison, et il mourrait de faim et de froid ; car, étant accoutumé à l’air chaud d’une fabrique et à dormir dans une chambre fermée, il ne pourrait supporter la température des forêts désertes de l’Amérique.

— Et ne pourrait-il pas faire du feu avec du bois sec ?

— Sans doute le bois n’y manquerait pas, et rien ne serait plus aisé que d’y faire bouillir la marmite ; mais il faut avoir quelque chose à mettre dedans. Ce sont les gens de la campagne, habitués à de rudes travaux, qui doivent aller là-bas, et non des ouvriers de fabrique qui ont toujours vécu renfermés comme des poulets dans un poulailler ; la première nuit qu’ils passeraient dans la forêt leur donnerait la fièvre. Non, cela ne peut convenir qu’à des hommes de peine, et encore faut-il qu’ils possèdent un peu de bien, afin d’être en état de pourvoir à leur subsistance jusqu’à ce qu’ils puissent faire leurs récoltes ; autrement ils courraient la chance de mourir de faim : cela est arrivé à plus d’un d’entre ceux qui y sont allés. On dit même que des colonies entières ont péri par la famine et la maladie.

— John, je ne sais que penser de ce que tu me contes là. Tu commences par me faire un si beau tableau de l’Amérique que l’eau m’en vient à la bouche, puis ensuite tu me parles de tant de fatigues et de dangers que je n’irais pas là pour tout l’or du monde.

— C’est qu’il y a un bon et un mauvais côté. Par exemple, un laboureur, bon travailleur, bien portant, et qui possède de quoi