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LE MARI PASSEPORT

j’accède au premier balcon-terrasse. Une sentinelle me fait alors signe de continuer plus loin. J’escalade un escalier ajouré, une véritable échelle, pour aboutir dans une grande pièce, aveuglante de soleil et de lumière. Aucun moucharabieh ne diminue le jour. Cette clarté me donne un âpre sentiment de liberté et de vie en comparaison des derniers jours du harem. Et pourtant, cette fois-ci, je suis prisonnière pour de bon.

Saïd bey s’avance, puis, solennel, s’assied derrière son bureau. Il m’indique d’un geste la fenêtre sur la mer où il me conseille de respirer : « Awa koyes », le bon vent.

J’en use à profit. Assise sur le rebord, j’aspire à pleins poumons cet air salin. N’ai-je pas à m’approvisionner de forces pour la lutte que je vais avoir à soutenir ?

Pendant près d’une heure, tout le monde semble avoir oublié ma présence. Je compte le temps que mettent à mourir les ondulations marines, je regarde au loin. Il y a des navires en rade et je réfléchis à la possibilité de les rejoindre à la nage. Mais c’est un rêve vain. Ils sont à trois, quatre, six kilomètres… Et, en vérité, je divague tout à fait, car quelle distance me laisseraient franchir les requins ?

Mais M… fils a été libéré. Il est rentré au Consulat et son père va venir. Toute mon espérance repose sur lui.

Puis je pense à mon petit carnet rouge, qui contient toutes mes impressions et mes pensées sur chacun. C’est le résumé de mon voyage. Je demande à disparaître un court instant. On me le permet, mais deux sentinelles m’accompagnent et m’encadrent. J’allais oublier que je suis arrêtée. Cela me rappelle ma situation.