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LE MARI PASSEPORT

faire le voyage cette année-ci. L’an prochain, qui sait si j’en aurai encore le désir ?

Presque tout le monde ignore mon projet. Ceux qui le connaissent, toutefois, sont assez sombres ; certains me prédisent la mort, d’autres la réclusion à vie, tout au moins plusieurs années dans un harem à Oneiza.

Rien ne me détourne, les risques dont on me parle ne sont que de nouveaux attraits. Nous partons pour Haïfa. C’est la première ville de Palestine et j’espère pouvoir y épouser mon indispensable Soleiman. Nous parvenons à Saïda, petit port accroupi dans le sable au soleil. Une rue toute blanche, zébrée d’ombres violettes. Des nègres, des Arabes, des femmes en une harmonie éclatante. Des grappes d’enfants nous offrent à bras tendus des mandarines géantes. Poussière et soleil, nous roulons toujours.

Nakura, frontière. On se croirait en France : des douaniers débraillés jouent à la belote, crachent, fument la pipe. J’ai fait la leçon à Soleiman. Il doit feindre de ne pas me connaître. Son passeport nedjien lui permet de passer sans difficulté d’un pays dans un autre. Par bonheur, le mien aussi est visé sans complication. La route est en corniche sur des amoncellements de rochers rouges, jaunes, roses, creusés d’ombres douces et puissantes. À la douane anglaise, coupée à pic, la montagne surplombe la mer. À son flanc, la route est posée comme un balcon. Soleiman, qui n’a jamais quitté le désert, admire, médite et semble avoir du mal à comprendre la réalité.

Nous parvenons enfin sur le sable de la plage de Haïfa.

Les vagues viennent mourir sous les pneus de la voiture et effacent au fur et à mesure ses traces.