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jusqu’à prétendre que j’avais été pendue. Or, monsieur, j’aurais été lapidée et non pendue…

— L’un ne vaut guère mieux que l’autre, madame.

— Pas du tout. Pendue passe encore, mais lapidée… On souffre au moins deux heures !

J’avais devant moi la vicomtesse d’Andurain. Vous souvenez-vous ? Au mois de juin dernier, une courte dépêche datée de Djedda annonçait le jugement et la condamnation à mort de cette Française, arrêtée dans un hôtel indigène de la capitale du Hedjaz.

Une aventure extraordinaire et mystérieuse dont manquaient tous les détails. On la disait mariée à un cheik qui n’était à vrai dire qu’un chamelier du désert. Qu’allait-elle faire en Arabie ?

Le fil de son aventure se déroulait rapide comme sa parole. Une extraordinaire aventure, en vérité, engendrée par un goût du risque peu commun, un mépris des contingences, une confiance et une audace moins commune encore.

Mme d’Andurain est d’origine basque. Elle a de sa race, à un suprême degré, ce goût des lointains voyages, le courage et la volonté. Il y a quelques siècles elle eût frêté des caravelles pour aller conquérir quelque lointain Eldorado. Au vingtième siècle, que vouliez-vous qu’elle fît ?

Après son mariage au sortir du couvent, et après avoir visité en voyage de noces toute l’Amérique du Sud, l’Europe lui sembla un pays inhabitable. L’Orient l’attirait. Elle y partit. Au Caire, elle vendit des meubles anciens et des perles de culture. Puis elle partit encore. Et un jour, traversant le désert de Syrie, elle décida de s’établir à Palmyre.

Son mari était resté au Caire.

Son mari a horreur des voyages, horreur du désert et aucun intérêt pour les Arabes. Mais il ne sait résister aux désirs de sa femme. Il va donc à Palmyre la rejoindre. Un merveilleux hôtel abandonné dressait, en plein désert, sa silhouette de palace. Après de longues tractations et bien des aventures avec l’autorité militaire, le ménage d’Andurain se rendit propriétaire de l’hôtel.

Le vicomte avait également un parfait mépris pour le métier d’hôtelier. Une seule chose le passionne dans l’existence, l’élevage des chevaux de pur sang. N’ayant rien à faire, tout naturellement, il éleva des pur sang à Palmyre. Comme le désert ne connaît pas de pâturages et par conséquent ne produit pas de foin, pour nourrir ses chevaux il fit venir, à grands frais, des betteraves et du lait condensé.

La fortune de la famille risquait fort d’être convertie en boîtes de lait dont les chevaux faisaient la plus grande consommation, quand Mme d’Andurain fit comprendre à son mari que l’élevage des pur sang n’était pas une occupation en rapport avec leur situation géographique.

Parmi les rares voyageurs qui, de loin en loin, faisaient escale à l’hôtel Zénobie, vint, un jour, un marin anglais qui raconta merveille du Nedj, un pays mystérieux où aucun Européen ne s’était encore aventuré. Il n’en fallut pas plus pour donner à Mme d’Andurain l’impérieux désir de s’y rendre. Et comme chez elle les désirs se traduisent généralement en actes, elle résolut de partir sur-le-champ. Mais pour aller au Nedj, il fallait pour le moins être mariée à un Nedjien. Qu’à cela ne tienne, Mme d’Andurain épouserait un Arabe.

Deux jours plus tard, un chef du désert vint à passer à Palmyre. Il avait dans sa suite un méhariste du nom de Soleiman qui appartenait justement à une tribu du Nedj. Ceci se passait un lundi. Le mercredi, Mme d’Andurain partait avec Soleiman qu’elle devait, par la suite, épouser et se convertir à la religion musulmane pour accomplir son voyage.

Ce que fut ce voyage, elle va vous le dire elle-même dans les mémoires dont nous commençons demain la publication.

Ce sont les premiers articles qu’elle publie. Et, sauf son mari d’occasion, tous les témoins vivent et peuvent attester de la vérité du récit.

On l’a accusée d’espionnage. Elle s’indigne. Quand on la connaît, on comprend fort bien que le goût seul de l’aventure ait pu l’entraîner dans cette expédition hasardeuse. Elle la trouve, elle, parfaitement naturelle.

— Si j’étais Anglaise ou Américaine, nul ne s’étonnerait d’un pareil voyage. Parce que je suis Française, on veut lui donner des raisons qu’il n’a pas.

Mme d’Andurain n’est pas faite pour vivre dans un petit appartement parisien, entre un mari en pantoufles et des enfants qui vont bien sagement à l’école. Voilà tout.

ROBERT DUBARD.