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nous marier sans avoir l’acte d’autorisation qui est dans les mains d’Achem. Il se méfie de cette comédie, qui pourrait bien cacher un piège et qui, en réalité, n’est qu’un scénario d’agencement compliqué.

Quelques assistants réclament les friandises qui sont de tradition en pareilles circonstances. Je l’ignorais et je me rattrape en distribuant de l’argent aux témoins, qui sortent dans une débandade générale pour chercher les gourmandises d’usage.

Le premier rapporte des laitages, moitié lait caillé, moitié amidon, couverts d’une décoration de hachis de pistache. Suivent des gâteaux, ronds, blancs, sortes de meringues très sèches qui tombent en poudre à la première bouchée. Des fruits confits, des sirops de sucre, de roses, des gâteaux au miel, aux amandes complètent le régal.

Je suis assise à côté de Soleiman, qui n’est guère plus ému que moi. Le mariage commence par l’estimation de ma valeur marchande. La mise à prix se fait à mille livres, c’est toujours ma réputation de richesse qui m’a valu les pires ennuis. Je me récuse et je fais tomber le cours en proposant le centième, dix livres. Consternation dans l’assemblée, on passe à 500. Je contre propose 25, puis 50, finalement on s’entend pour le prix de 100 livres. Je m’achète donc moi-même cent livres pour m’appeler Mme  Soleiman Addel Aziz Teckmari.

Après les enchères la cérémonie continue, Soleiman se lève en bâillant et disparaît sans un mot d’explication ; cet accès de discrétion donnait à son absence intempestive une explication que je trouvais plausible, mais l’assistance l’attribua à un besoin pressant de la nature.

Cinq minutes, Soleiman ne revient pas.

Dix minutes, Soleiman n’est pas revenu…

Un quart d’heure, Soleiman n’est toujours pas là…

Le cheik, s’adressant à moi, m’explique que l’usage du mariage consacre une donation à la mosquée d’Omar. J’appelle Soleiman… Pas de réponse, consternation générale. Achem, qui toujours porteur du firman d’autorisation a été envoyé à la recherche du cheik, n’est toujours pas de retour. La cérémonie est interrompue et les bavardages reprennent de plus belle.

Au bout de vingt minutes Soleiman revient seul, sans hâte et sans gêne, avec son éternel sourire, en expliquant qu’il a été chez le coiffeur pour faire soigner sa beauté. Il s’agit bien d’être beau quand on est, à quelques minutes, près de rater un pèlerinage à la Mecque.

La cérémonie reprend au point où elle avait été interrompue ; le cheik Tewfik nous tend un reçu à fond blanc avec une mosquée imprimée en jaune, récépissé, distinction honorifique et bénédiction tout à la fois.

Nous signons l’acte final, il ne reste plus qu’à partir.

Les félicitations et allusions à notre lune de miel commencent. On conseille à Soleiman de m’embrasser. Je l’en dissuade par un regard foudroyant que j’accompagne d’un geste de dégoût auquel il répond d’un air malin.

« Elle ne perd rien pour attendre, je lui apprendrai le petit jeu ce soir… »

Fanfaronnade. Je reste impassible, satisfaite qu’il joue aussi bien, en public, son rôle d’époux.

Mon énervement est à son comble. Tout est signé, terminé, mais Achem, notre fidèle secrétaire, manque toujours et le moment est décisif. Le cheik, en bon fonctionnaire, veut être couvert par l’autorisation qui court après lui. Prières, supplications, menaces le font enfin céder…, l’acte de mariage est dans mon sac… Je tire vivement Soleiman par le bras, nous laissons nos hôtes et nos témoins de fortune faire des vœux pour notre bonheur, consternés d’un départ si rapide. Nous nous jetons pêle-mêle au milieu de nos bagages dans la voiture et nous quittons Haïffa à toute allure par la route de Jérusalem.

Je suis nerveuse et trépidante, dans un coin ; Soleiman se compose l’attitude d’un émir, assis dans l’autre coin avec toute la dignité de la noblesse qu’il s’est attribuée.

Mes premiers mots d’épouse légitime sont pour exprimer ma colère sur la publicité de mauvais goût qu’il a donnée, derrière mon dos, à notre mariage, sachant fort bien que je n’ai qu’une idée, celle de passer aussi inaperçue que possible. En effet, j’ai appris le matin même qu’il avait paru dans Palestine, le quotidien au plus fort tirage, un petit entrefilet annonçant mon mariage avec un certain Soleiman auquel j’offrais en cadeau un demi-million.

— Tu n’as pas honte de vouloir toujours paraître ce que tu n’es pas, d’avoir l’air riche quand je ne le suis pas, de faire tant d’histoires autour d’un mariage qui aurait dû rester secret. Par Allah que tu est bête, oui bête, bête et têtu…

Il semble assez humilié et s’excuse en m’expliquant que ce mariage lui a fait perdre la tête, il n’avait pas bien compris… Il n’aurait jamais cru accomplir un aussi beau mariage. Il répète tout le temps, comme un refrain, et en français : « Moi, beaucoup chance ».

(À suivre.)
MARGA D’ANDURAIN.


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