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LA IIII. IOVRNEE DES NOVVELLES

gaigner l’amour de ſon mary. Et le lendemain feit le guet quãd il ſe leueroit d’aupres d’elle, & ſe leua pareillemẽt auec ſon mãteau de nuict, faiſant faire ſon lict, & en diſant ſes heures attendoit le retour de ſon mary : & quand il entroit en la chambre, alloit au deuant de luy le baiſer, & luy portoit vn baſsin & de l’eau pour lauer ſes mains. Luy eſtonné de ceſte nouuelle façon de faire, luy diſt, qu’il ne venoit que du retraict, & que pour cela n’eſtoit meſtier qu’il ſe lauaſt. A quoy elle reſpõdit, que combien que ce n’eſtoit pas grand choſe, ſi eſtoit il honneſte de lauer ſes mains, quand on venoit d’vn lieu ord & ſalle : deſirant par lá luy faire cognoiſtre & haïr ſa meſchante vie. Mais pour cela il ne ſe corrigeoit point, & continua ladicte dame ceſte façon de faire bien vn an. Et quand elle veid, que ce moyen ne luy ſeruoit de rien, vn iour attendant ſon mary, qui demeura plus qu’il n’auoit de couſtume, luy print enuie de l’aller chercher, & tant alla de chambre en chambre, qu’elle le trouua couché en vne arriere garderobbe, & endormi auec la plus laide, orde & ſalle chambriere, qui fuſt leans. Et lors ſe penſa qu’elle luy apprendroit à laiſſer vne ſi honneſte femme, pour vne ſi ſalle & vilaine : ſi print de la paille, & l’alluma au milieu de la chãbre : mais quand elle veid que la fumée euſt auſsi toſt tué ſon mary que eſueillé, le tira par le bras, en criant, au feu, au feu. Si le mary fut honteux & marry, eſtant trouué par vne ſi honneſte femme auec vne telle ordure, ce n’eſtoit pas ſans grande occaſion. Lors ſa femme luy diſt : Monſieur, i’ay eſſayé vn an durant à vous retirer de ceſte meſchanceté par douceur & patience, & vous monſtrer qu’en lauant le dehors, vous deuiez nettoyer le dedans. Mais quand i’ay veu que tout ce que ie faiſois eſtoit de nulle valeur, ie me ſuis eſſayée de m’aider de l’element qui doit mettre fin à toutes choſes : vous aſſeurant, monſieur, que ſi ceſte cy ne vous corrige, ie ne ſçay ſi vne ſeconde fois, ie vous pourrois retirer du dãger comme j’ay fait. Ie vous prie de penſer, qu’il n’eſt nul plus grand deſeſpoir que l’amour, & que ſi ie n’euſſe eu Dieu deuãt les yeux, ie n’euſſe vsé de telle patience que i’ay faict. Le mary, bien aiſe d’en eſtre eſchappé à ſi bon compte, luy promit iamais ne luy donner occaſion de ſe tourmẽter pour luy. Ce que treſvolontiers la dame creut, & du conſentement du mary, chaſſa dehors ce qui luy deplaiſoit. Et

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