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DE MARGUERITE DE NAVARRE

donner de sa lumière, mais de son bon gré luit & lors est salué de tous, ainsi le Prince ne doibt attendre les bona dies, la foulle, la louange de ses subgects pour leur faire du bien, mais doibt, de sa franche volunté, estre bienfacteur envers euls affin qu’il reluise en ce Monde comme le Soleil fait au Ciel.

Du fruit de ceste rare libéralité avoient gousté tous ceuls qu’elle avoit prins à son service, car elle n’estoit contente de leur payer leurs gaiges selon l’Estat qu’ils havoient en sa Maison, mais elle récompenseoit aussi leurs peines & leur fidélité d’une libéralité qui leur estoit inespérée. Elle ne vouloit resembler d’aulcuns qui ne tiennent leurs serviteurs pour personnes libres & pour hommes, mais pour des esclaves & pour des bestes, &, après qu’ils ont, je ne dy usé mais abusé de leur service, leur est advis qu’ils ont trop fait pour euls s’ils leur donnent seulement à boire & à menger, encor tellement quellement, comme à des chiens. Et, s’ils ont convenu de gaiges avec euls, quand les pauvres gents demandent le fruit de leur diligence, labeur & service, qui sont leurs gaiges, ils reçoivent des ingrats du mal pour du bien, qui, au lieu de libéralité, les oultragent, les battent & leur disent mille villennies. Mais Marguerite havoit tousjours en mémoire ce que dit Platon, les maistres ne devoir faire oultrage, ne dire injure à leurs serviteurs non plus qu’à leurs compaignons. Elle sçavoit aussi que Moïse a commandé, en son Deutéronome, qu’on ne diffère au lendemain à payer le salaire du Serviteur, & que Jésuchrist a pareillement dit les ouvriers ne devoir estre frustrés de leur salaire, & Sainct Paul escrit qu’on ne doibt fermer la bouche au bœuf qui labeure.

Pour ceste cause, elle commandeoit si expressément de