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DE MARGUERITE DE NAVARRE

comme après le naufrage, embrasser la tranquillité tant désirée, les aultres se couvrir de sa faveur, comme d’un second boucler d’Ajax, contre ceuls qui les persécutoient. Somme, les veoiant à l’entour ceste bonne Dame, tu eusses dit d’elle que c’estoit une poulle qui soigneusement appelle & assemble ses petits poullets & les couvre de ses aèls.

Où est celuy, si ce n’est un homme du tout aliéné d’humanité, qui ne prise, qui n’aime, qui ne révère la candeur, la charité, la piété de ceste tant libérale, tant magnifique & tant vertueuse Royne ?

Jambliche ne la blâmera, car il veult que les Princes obligent leurs subgects à euls par toute manière de libéralité & respandent les grâces, non d’un vaisseau, ne closes & enfermées en un vaisseau, comme les Poètes les faignent, mais toutes nues & sans aulcune extérieure couverture, & dit que tel honneur des grâces est la couronne d’un Royaume. Platon n’eust aussi reprins la largesse & magnificence d’elle, veu qu’il escrit la République estre malheureuse, dont le Prince dira quelque chose estre à luy & non pas commun avec ses subgects. Non que Platon prenne si estroictement ceste communité qu’il entende le Prince ne devoir rien havoir propre, comme d’aulcuns l’ont interpreté, qui ont esté aveuglés de la majesté de Platon, & avec euls la déplorée & pernicieuse secte des Anabaptistes villainement & séditieusement l’a enseigné, mais affin que nous entendons la libéralité estre tant recommandée aux Princes qu’ils doivent estre larges & prompts bienfacteurs vers un chascun, comme s’ils n’havoient chose en ce monde qui, par tiltre de libéralité, ne soit commune à leurs subgects.

Mais il y en a quelques uns qui ont dit ce que tous les