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DE MARGUERITE DE NAVARRE

que nous avons laissé couler les vices qui pouvoient obscurcir la splendeur des vertus.

Davantage, ils tascheront de me reprendre pource que celuy qui doibt publiquement parler de la vie & des mœurs du trespassé doibt réciter tant les vices, que les auditeurs doivent fuir, que les vertus qu’ils doivent ensuivre, mais que je n’ay dit un seul mot des imperfections de la Royne, qui peuvent diminuer, voire souiller l’amplitude & majesté d’un Prince.

Mais pourquoy n’accuse l’on de mesme faulte Démosthène, Hortense, Crasse, Cicéron & d’aultres insignes & illustres orateurs ? Car, quand ils louent quelcun ou le défendent contre l’accusation de ses adversaires, ils racomptent bien au long ses vertus, mais ou ils taisent du tout ses vices, ou les dissimulent tant qu’ils peuvent, ou, si commodément ne le peuvent faire, les purgent. Platon, & avec luy le grand Tyrien, vouldroient qu’en une Cité & République bien ordonnée les citoyens parlassent souvent des vertus, mais qu’ils ni tinssent un seul propos des vices. Et S. Paul, nostre Docteur, ne nous commande seulement de nous esloingner tant que nous pourrons de toute turpitude, mais il veult aussi que le nom de turpitude ne sorte seulement hors de nostre bouche. Car, puis que la vertu & le vice bataillent ensemble comme contraires l’un à l’aultre, il est manifeste que, comme en définissant & monstrant le noir on déclaire aussi que c’est que le blanc, ainsi, la vertu estant définie & expliquée, on monstre pareillement que c’est que le vice.

Parquoy, quand nous avons recité par ordre les vertus de Marguerite, les avons mises devant les œils des Princes pour les ensuivir, n’avons nous aussi proposé les vices, qui sont contraires à telles vertus, pour les faire