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DE MARGUERITE DE NAVARRE

demande qu’elle ha à pleurer & l’enhardit dire si elle vouloit quelque chose. Adonc la Religieuse commence à la menter de plus fort &, en regardant la Royne, luy dist quelle déploreoit sa fortune. Quant Marguerite entendit ces parolles, retournée vers ceuls qui estoient avec elle, leur dist : « Vous me celiés la mort du Roy, mais l’Esprit de Dieu la m’a révellée par ceste folle. » Cela dit, retourne en sa chambre &, sans faire aulcun acte de femme, se mist à genoils & trèshumblement remercia le Seigneur de tous les liens qu’i luy plaisoit luy faire.

Aussi, peu de jours devant qu’elle tumbast en sa dernière maladie, ce que nous avons sçeu de ceuls à qui Marguerite mesmes l’a dit, comme elle dormoit, luy fut advis qu’elle veoioit une trèsbelle femme, tenante en sa main une couronne de toutes sortes de fleurs, quelle luy monstreoit & luy disoit que bien tost elle en seroit couronnée. Or sçavoit elle bien qu’elle ne devoit interpréter ce songe comme si dans peu de jours après elle deust mourir, mais toutefois ne le deprisa tant qu’elle ne penseast à ce qu’il pouvoit signifier, & interpréta ceste couronne pour la béatitude éternelle.

Je ne doubte point qu’un tas de scrupuleus & sévères censeurs ne se mocquent de cecy & ne disent Marguerite avoir esté superstitieuse d’adjouxter foy aux songes, & nous fols de réciter telles choses d’elle. Mais ceuls qui s’en mocquent, ou sont avec nous Chrestiens ou Philosophes, ou du tout Athéistes & sans loy. Que s’ils sont du nombre, de ceuls qui ne tiennent grand compte de nostre Religion & la veulent postposer aux traditions des Philosophes, me respondent donc qu’il leur semble de Platon, d’Aristote, de Cicéron, de Valère le grand, desquels les