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DE MARGUERITE DE NAVARRE

perdu son père, sa mère, ses frères, ses enfants, ses amys & telles choses qui luy sont trèschères, soit esmeu de quelque douleur, mais il nous fault havoir tel tempérament en nostre dueil que toute occasion de mocquerie & de calumnie soit ostée aux ethniques, gentils, gents impies & vivants sans Loy, qui tiennent nostre Religion pour chose ridicule, & que nostre douleur sente le Christianisme. La Mort a donné grande occasion de tristesse à ceuls qui ont perdu Marguerite ; mais pourquoy hauront ils ainsi le couraige failly, veu que ne les douleurs, ne les larmes, ne les cris ne peuvent donner aulcun remedde à tels mauls ?

Je ne doubte que, quand elle estoit détenue au lict de la maladie dont elle est décédée, s’il eust esté possible de rachapter sa vie par mort, plusieurs heussent faict ce que Alceste feist pour Admète son mari. Et, si aujourd’huy nous pouvions impétrer de Dieu ce que, selon le dire des Poëtes, Laodamie impétra par ses pleurs, qu’en consolation de nostre dueil nous peussions veoir l’umbre de Marguerite, certes, je croy qu’il y en auroit qui expireroient entre ses bras comme l’aultre feist entre les bras de son mari Protésilae. Mais puisque nous ne devons, je ne dy seulement demander telles choses au Seigneur, mais aussi ne les penser, qu’est ce qu’il nous reste à faire ? Ferons nous comme Evadné, qui se getta dans le feu lors que les éxèques de son mari Capanée se faisoient ? Ou nous defferons nous nous-mesmes avec Cléopatre, son amy Antoine mort, ou avec Marc Plautie quand on faisoit les funérailles de sa femme Orestille à Tarente ? Quoy donc ? Suivrons nous l’audacieus acte de Portie, qui, advertie de la mort de Brute son mari, avalla des charbons ardents & se suffoqua ? Si nous faisions telles choses, quel jugement