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DE MARGUERITE DE NAVARRE

douls dormir & se caiche au dedans, si bien que jamais elle ne fut veue dormir plus doulcement ne plus à son aise. Où est celui de nous qui seroit marri de son repos ? Et, si son Valet de chambre ouvroit la porte à quelques uns qui feissent tel bruit qu’elle s’en eveillast, ne luy dirions nous toutes les injures du monde &, quand elle reposeroit, n’imposerions nous silence à un chascun ? Ne les advertirions nous de marcher tout beau ? Que n’en faisons nous aujourd’huy autant ? Car, si croions à l’Escripture Saincte, Marguerite n’est morte, ains elle dort, & Cicéron est tesmoing qu’il n’y a rien plus semblable à la Mort que le dormir. Cela est confirmé par ce qu’Aristote escript de George, Léontin, qui, estant prochain de la mort, & comme les forces lui défailloient, estant assommé du dormir, fut interrogé que c’est qu’il faisoit, & respondit que le Dormir desjà commenceoit le mettre entre les mains de son frère. Puis donc que Marguerite, après grands & longs travails, maintenant dort, pourquoy faisons nous bruit à son repos ?

Je ne vey onc personne qui fust marri quand elle se prépareoit pour aller à la Court veoir le feu Roy, son frère, & quand, pour ce faire, elle se mettoiten sa lectière. Et qu’est ce que Mort, sinon, comme Platon estime, une certaine permutation & changement de demeure que fait l’ame de ce lieu en un aultre, sçavoir est, comme luy mesmes dit, de ce Monde au Ciel où elle est rendue, l’assemblage d’elle & de son corps disjoint & deffait. Certes, Marguerite est allée à la Court de ce grand Dieu, Empereur & Seigneur de tout le Monde, de la présence duquel elle jouit maintenant en gloire & béatitude éternelle, à laquelle elle aspiroit de tout son cœur quand elle converseoit en ce Monde. Veuls tu la déchasser du Ciel ?