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DE MARGUERITE DE NAVARRE

tous ceuls qui prennent une si grande tristesse de la mort des leurs qu’ils aiment mieuls désécher de continuel ennuy que de recevoir consolation & mettre devant leurs yeuls les grands biens que la Mort avec soy nous apporte, ceuls là, dy je, pensent avec les Epicuriens que ce qui ne se veoit point n’est rien, & avec cela ne croyent que les Ames demeurent, estant séparées de leurs corps. Mais, puisque les Philosophes de milleur advis & tous ceuls qui ont quelque jugement, & ceuls aussi qui se sont fait escrire au rolle des Chrestiens, hont un aultre opinion, je vous pry, ô Alençonnois, que nous mettons toute tristesse, dueil & mélancholie hors de nostre esprit, &, puis qu’il nous est indubitable que la Mort ne se peut éviter, ne par faveur, ne par aide, ne par prière, ne par aulcun moyen, & que le jour de la Mort viendra lors que n’y penserons point, soions vigilants affin que ce jour là ne nous surprène despourveus.

Et, si ce pendant nous voulons faire mémoire de Marguerite, comme certes doibt celle à perpétuelle mémoire estre consacrée qui, depuis que les hommes sont hommes, n’a heu sa pareille en perfection, louons en premièrement Dieu & le remercions de quoy lui a pleu illustrer sa créature de grands dons de ses grâces. Après, suivons à nostre possible les admirables vertus de Marguerite, & prenons exemple à la vie de celle que nous confessons tous ne pouvoir estre assés suffisamment louée. Car nous racompteons & loueons en vain de bouche & par escript les grandes & nobles vertus des illustres personnes si de faict regettons la vertu, car ce n’est pas lorsque les gents vertueux sont à la vérité aymés, prisés & honorés, quand nous les pleureons après leur mort ou que nous récitons