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SUR MARGUERITE DE NAVARRE

mauvais traittement qu’il faisoit au Roy son frère, qu’il en fust tout estonné, luy remontrant son ingratitude & fellonnie dont il usoit, luy vassal, envers son Seigneur, à cause des Flandres. Puis luy reprocha la dureté de son cœur pour estre si peu piteux à l’endroist d’un si grand Roy & si bon ; & qu’usant de ceste façon, ce n’estoit pour gaigner ung cœur si noble & royal que celluy du Roy son frère, & si soverain ; &, quand bien il mourroit par son rigoreux traictement, la mort n’en demeurroit impunie, ayant des enfants qui quelque jour deviendroient grands, qui en feroient la vengeance signalée. Ces parolles, prononcées si bravement & de si grosse collère, donnarent à songer à l’Empereur, si bien qu’il s’amodéra & visita le Roy, & luy promist forces belles choses, qu’il ne tint pas pour ce coup pourtant.

Or, si ceste Reyne parla bien à l’Empereur, elle en dit encor pis à ceux de son Conseil où elle eust audience, là où elle triompha de bien dire & bien haranguer, & aveq’ une bonne grâce dont elle n’estoit point dépourveue, & fist si bien par son beau dire qu’elle s’en rendist plus agréable qu’odieuse ny fascheuse, d’autant qu’aveq cella elle estoit belle jeune veufve de M. d’Allençon & en la fleur de son aage ; tout cela est fort propre à esmouvoyr & plyer des personnes dures & cruelles. Enfin elle fist tant que ses raisons furent trouvées bonnes & pertinentes, & demeura en grand’ estime de l’Empereur, de son Conseil & de sa Court.

Si est-ce qu’il luy voulut donner une venue, d’autant que, ne songeant à l’expiration de son sauf-conduit & passeport, elle ne prenoit garde que son terme s’en approchoit. Elle sentist quelque vent que l’Empereur,