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EXTRAITS DE BRANTOME

aussitost le terme escheu, la vouloit arrester ; mais elle, toute courageuse, monte à cheval, faict des traictes en huict jours qu’il en falloit bien pour quinze, & s’esvertua si bien qu’elle arriva sur la frontière de France le soir bien tard du jour que le terme de son passeport expiroit. Et par ainsin fut trompée Sa Cæsarée Majesté, qui l’eust retenue sans doutte si elle eust voulleu enjamber sur ung autre jour de son sauf-conduict. Elle luy sçeut aussi bien mander & bien escripre après, & luy en fayre la guerre lorsqu’il passa en France. Je tiens ce conte de Madame la Sénéchalle, ma grand’mére, qui estoit pour lors aveq’elle sa Dame d’honneur.

Durand la prison du Roy son frère elle assista fort à Madame la Régente, sa mère, à régir le royaume, à contanter les Princes, les Grands & gaigner la Noblesse, car elle estoit fort accostable & qui gaignoit bien le cœur des personnes pour les belles partyes qu’elle avoit en elle.

Bref, c’estoit une Princesse digne d’un grand empire. Outre tout cela, elle estoit très bonne, douce, gratieuse, charitable, grand’ aumosnière & ne desdaignant personne. Aussi, lorsqu’elle fust morte, elle fut plainte & regretée de tout le monde. Les plus sçavans à l’envy firent d’elle une infinité d’épitaphes, qui grec, qui latin, qui françois, qui italien, si bien qu’il y en a ung livre encor en lumière, tout complet & qui est très beau[1].

Ceste Reyne souloit souvant dire aux uns & aux autres, qui discouroyent de la mort & de la béatitude éternelle par amprèz : « Tout cela est vray, mais nous

  1. Voir précédemment la préface, pages 5-8.