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DE L’HEPTAMÉRON

MORT DE LOUISE DE SAVOIE.

…Mais s’il vous plaist, amye, d’une femme,
Qui de son temps par sus toutes eut fame,
Je vous diray commant elle mourut
Et comme Foy mourant la secourut[1].
Ung vilaige est que l’on [sur]nomme Grès,
Près de Paris[2], lieu remply de regretz,
Car là mourut Loyse de Savoye,
Qui de vertu avoit suyvi la voye,
Mère du Roy Françoys, qui avoit d’eage
Cinquante cinq ans l’an de son voyaige,
Voyant la fin peu à peu aprocher
Loing de son filz qu’elle tenoit tant cher,
Lequel, fuyant la peste, fut contrainct
De s’esloigner, dont il eut regret mainct.
Pas ne pensoit si tost perdre sa mère,
Dont il porta douleur trop plus que amaire,
Elle ayant fait de sa vie le cours
En longs ennuys & en plaisirs bien cours,
Ce que chacun peult clairement sçavoir,
En tous estatz ayant fait son devoir,
Avec honneur & conscience pure,
Autant ou plus que fist onq créature.
Unze ans avoit quand mary elle prist,
Saige & prudent, duquel beaucoup aprist.
Aveques luy huict ans elle demoura,
Mais ce bon temps guères ne luy dura.
Fille & filz eut à elle obéyssans
Rempliz d’esprit, de vertuz & bon sens.
Veufve elle fut en l’eage dix neuf
Et, sans vouloir reprendre mary neuf
Bien qu’elle fust de grans Roys demandée,
Viduité eut tant recommandée
Que en la gardant vesquit si chastement
Que en son parler, regard & vestement,
De chasteté à tous l’exemple estoit ;
Et dans son œil très beau elle portoit
Avec doulceur si grande magesté
Qu’elle incittoit chacun à chasteté.

  1. Ce sont les rimes mêmes de Corneille dans Horace :
    Que vouliez-vous qu’il fit contre trois ? — Qu’il mourût,
    Ou qu’un beau désespoir alors le secourût. — M.
  2. Gretz, canton de Tournon (Seine-et-Marne), sur la rive gauche du Loing, à trois lieues sud de Fontainebleau, sur la route de Nemours. — M.