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PROLOGUE

Et, s’il vous plaist sçavoir le nom des trois Gentilz-hommes, le maryé avoit nom Hircan & sa femme Parlamente, & la Damoiselle vefve Longarine, & le nom des deux Gentilz-hommes, l’un estoit Dagoucin & l’autre Saffredent. Et, après qu’ilz eurent esté tout le jour à cheval, advisèrent sur le soir un clochier, où le myeulx qu’il leur fut possible, non sans traveil & peine, arrivèrent, & furent de l’Abbé & des Moynes humainement reçeuz. L’Abbaye se nomme Sainct-Savyn.

L’Abbé, qui estoit de fort bonne Maison, les logea honnorablement &, en les menant à leurs logis, leur demanda de leurs fortunes &, après qu’il entendit la vérité du faict, leur dist qu’ilz n’estoient pas seulz qui avoient part à ce gasteau, car il y avoyt en une chambre deux Damoiselles qui avoient eschappé pareil dangier, ou plus grand, d’autant qu’elles avoient eu affaire contre bestes, non hommes ; car les pauvres Dames, à demye lieue deçà Peyrehitte, avoyent trouvé ung ours descendant de la montaigne, devant lequel avoient prins la course à si grande haste que leurs chevaulx à l’entrée du logis tombèrent mortz soubz elles, & deux de leurs femmes, qui estoient venues longtemps après, leur avoient compté que l’ours avoit tué tous leurs serviteurs. Lors les deux Dames & trois Gentilz-hommes entrèrent en la chambre où elles estoient & les trouvèrent plorans, & congnurent que c’estoit Nomerfide & Ennasuite, lesquelles, en s’embrassant & racomptant ce qui leur estoyt advenu, commencèrent à se reconforter, avecq les exhortations du bon Abbé, de soy estre ainsy retrouvées & le matin ouyrent la messe bien dévotement, louans Dieu des périlz qu’ilz avoient eschappez.