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PROLOGUE

plus mauvais chemins qu’il avoyt jamais faict, mais qu’il avoit veu une bien grande pitié ; c’est qu’il avoit trouvé ung Gentil-homme, nommé Symontault, lequel, ennuyé de la longue demeure que faisoit la rivière à s’abaisser, s’estoit délibéré de la forcer, se confiant à la bonté de son cheval, & avoit mis tous ses serviteurs à l’entour de luy pour rompre l’eaue. Mais, quant ce fut au grand cours, ceulx qui estoient le plus mal montez furent emportez, mal gré hommes & chevaulx, tout aval l’eaue, sans jamays en retourner. Le Gentil-homme se trouvant seul, tourna son cheval d’ont il venoit, qui n’y sçeut estre si promptement qu’il ne faillit soubz luy ; mais Dieu voulut qu’il fut si près de la rive que le Gentil-homme, non sans boire beaucoup d’eaue, se traynant à quatre piedz, saillit dehors sur les durs cailloux, tant las & foible qu’il ne se povoit soustenir. Et luy advint si bien que ung Berger, ramenant au soir ses brebis, le trouva assis parmy les pierres, tout moillé & non moins triste de ses gens, qu’il avoyt veu perdre devant luy. Le Bergier, qui entendoyt myeulx sa nécessité tant en le voiant que en escoutant sa parolle, le print par la main & le mena en sa pauvre maison, où avecq petites buchettes le seicha le mieulx qu’il peut. Et ce soir là Dieu y amena ce bon Religieux, qui luy enseigna le chemyn de Nostre-Dame de Serrance & l’asseura que là il seroit mieulx logé que en autre lieu & y trouveroit une antienne vefve, nommée Oisille, laquelle estoit compaigne de ses adventures.

Quant toute la compaignye oyt parler de la bonne Dame Oisille & du gentil Chevalier Symontault, eurent une joye inestimable, louans le Créateur qui, en se contentant des serviteurs, avoyt saulvé les maistres &